Visite de la Canopée avec Georges Pencreac’h, architecte du premier Forum des Halles

Le 6 octobre 2010 l'Association Accomplir a organisé une conférence publique donnée par Georges Pencreac’h, co-signataire avec Claude Vasconi (disparu en décembre 2009) de l'architecture du premier Forum des Halles et en particulier de la "Place des Verrières". Le compte-rendu de l'analyse de Georges Pencreac'h se trouve sur le site ArchitecturHalles.
Le 4 mai 2016, l'Association Accomplir a organisé, pour ses membres, une visite de la Canopée avec Georges Pencreac’h. Ses impressions suite à cette visite...

PROMENADE AU CIMETIERE DES INNOCENTS

Le 4 mai 2016 à 18 heures et pour la première fois depuis au moins cinq ans j’ai franchi la frontière du boulevard de Sébastopol entre le 4e et le 1er arrondissement pour m’approcher de la Fontaine des Innocents et du lieu où quelques militants de l’association « Accomplir » autour d’Elisabeth Bourguinat m’avaient donné rendez-vous pour une visite de l’état des lieux des « Halles ».
Je connaissais parfaitement bien le projet, tant du jardin que du Forum, pour avoir analysé en détail le dossier au stade du permis de construire et présenté cette analyse en conférence publique à la mairie du 1er arrondissement le 6 octobre 2010.
Je m’étais depuis lors refusé à assister aux actes barbares qui allaient, au nom et pour l’unique bénéfice du profit commercial, conduire à l’assassinat de l’ensemble architectural du Forum cosigné par Claude Vasconi et moi-même et à la rage destructrice qui allait s’abattre sur l’ensemble du site.
En ce 4 mai le temps est estival, le ciel d’azur et le site des Halles très animé…
La promenade va se dérouler en 14 stations, mais ce n’est pas un chemin de croix, l’insignifiance générale ne mérite pas cet excès d’honneur.

1ère STATION
Nous sommes devant la Fontaine des Innocents. On se souvient qu’autrefois la présence du jardin était ici nettement perceptible et que la silhouette de Saint-Eustache s’élevait dans toute son ampleur en fond de perspective. Aujourd’hui, plus de jardin, plus d’église, mais un marché couvert, bizarrement revêtu de fanfreluches kitchissimes que l’on croirait dessinées pour un autocrate d’une république caucasienne et en dessous l’enseigne d’une boutique « NIKE », celle qui a pu payer le plus cher sans doute.
Lamentable première vision des nouvelles Halles que la grande majorité des visiteurs, ceux qui arrivent par la rue Berger depuis « Pompidou » reçoivent en guise d’accueil.

2e STATION
Nous nous sommes engagés rue Lescot et sommes arrêtés devant cette porte monumentale qui magnifie selon une mystérieuse logique le petit cul-de-sac de la Cossonnerie..
Au moins peut-on s’attendre de ce point à découvrir l’espace des Halles et les éléments forts du site : que nenni, Saint-Eustache reste invisible et la Bourse du Commerce a perdu son dôme coupé par l’écroulement central de la « Canopée ».
Observons donc cet espace majeur. Misère : de part et d’autre deux longs bras s’écartent ; il sont constitués de deux étages d’équipements publics dont les façades habillées de murs rideaux raides comme une clôture de caserne, sont posées sur un soubassement de vitrines où l’on distingue les enseignes lambda de tous les centres commerciaux du monde… Il semble nous souvenir que l’on reprochait autrefois une trop grande confidentialité aux accès des équipements publics des bâtiments « Willerval » A présent ces accès ne sont plus confidentiels mais carrément invisibles, voilà qui est clair.
Bien entendu on ne peut s’empêcher de lever les yeux vers le plafond : superbe entrelacs de ferraille dont on imagine qu’il a fallu beaucoup de travail aux ingénieurs pour arriver à entasser le poids de la tour Eiffel sur cette surface somme toute assez réduite. Cela donne une ombre de belle densité dans l’espace et je ne peux m’empêcher de penser à l’initiateur de cette toiture, le très subtil David Mangin pour qui la « couverture allait remplacer utilement les VERRIERES OPAQUES du Forum »
Mais arrêtons les frais et cessons de tirer sur une ambulance.

3e STATION
Nous nous sommes avancés sous la « Canopée » et arrivons en rive du « trou » central. Nous commençons à apercevoir Saint-Eustache très partiellement : le toit et le chevet, éléments essentiels, restent invisibles. L’espace sous la « Canopée » a délibérément ignoré tous les éléments du contexte pour se concentrer sur cette axialité totalement théorique et absurde puisqu’elle part de rien et ne mène nulle part. On suit la rive sud du trou et on se retourne pour voir le plafond dans l’autre sens.
Et là, miracle, la constitution des « ventelles » apparaît et à travers elles se détachant sous le magma jaunasse de la couverture de longues lames courbes de ciel bleu : c’est beau comme trois coups de cutter sur la toile d’un « concetto spaciale » de Lucio Fontana.
Comme on ne peut pas tout avoir, c’est évidemment par là que passe la pluie et certains esprits contestataires voudraient qu’un toit qui offre de telles émotions soit en plus étanche…

4e STATION
En haut des escaliers vers le trou central, regard sur les terrasses et le fond au niveau -3.
Première impression : c’est gai comme la cour de promenade d’un quartier de haute sécurité à Fleury-Mérogis. Le sol comme celui du niveau 00 est constitué d’un matériau indéfinissable, sans doute assez sophistiqué mais qui ressemble à s’y méprendre à du béton brut. A partir de là tout est gris pâle, les rives de plancher, le métal des murs rideaux, les supports des garde-corps, et sur ce morne-terne dégouline depuis la toiture le jaunasse terne-morne qui recouvre les monstrueuses poutres-échelles courbes sous dalle du niveau -1 et d’autres fers structurels.
Tristesse.

5e STATION
Nous sommes entrés dans le centre commercial au niveau -1 et nous tenons sur la galerie sud.
Les rives de plancher de l’ancien Forum, inchangées, sont bien visibles et on distingue au niveau -3 un détail archéologique, les deux « butons » inclinés à 45°, trace du dessin de la première verrière du forum. On se souvient aisément de la qualité de cet espace sous les verrières et les grands arcs courbes et on se demande à quoi servent ces bouts de planchers vides, ces poutres rajoutées, ces blessures inutiles. Depuis la galerie sud -1 les perspectives mensongères du projet dessinaient Saint-Eustache, non seulement on ne voit pas ce monument mais on ne voit rien du tout : la poutre échelle place cette circulation derrière un barreaudage infernal et la réduit à une galerie anonyme.

6e STATION
Nous avons parcouru la descente Berger vers le niveau -3 et découvrons la nouvelle image du Forum. Les sols en porphyre ont disparu pour laisser place à un marbre gris clair passe-partout, des plafonds en staff blanc, garde-corps vitrés « mode » autour des trémies, absence de toute structuration architecturale des rues, nous sommes en face de galeries de « shopping center » totalement impersonnelles qui sont reproduites à l’infini sur la surface du globe et offrent une image indigne du cœur de Paris.

7e STATION
Du niveau -3 sortie vers la place basse. J’espère que les escaliers de liaison entre l’intérieur et l’extérieur ne sont que provisoires et qu’ils seront achevés plus dignement.
Retour sur le détail du mur rideau : c’est cheap, c’est minable ; quand on pense qu’on a tué les grandes verrières, sur le détail desquelles nous nous étions avec Jean Prouvé, passionnément penchés, pour mettre à la place cet indécent profil plat d’inox fixé par vis apparentes…

8e STATION
On a pris le grand escalator pour rejoindre le jardin. Au passage on admire les fausses marches en caillebottis qui sont censées recevoir la cascade crachée par le serpent central de la couverture en cas d’intempéries : Il faudra revenir pour voir cela (avec un bon ciré sur le dos).

9e STATION
Nous sommes en rive de la Canopée et nous dirigeons vers Saint-Eustache . Depuis la rue Rambuteau cette rive spectaculaire qui enchaine une contre-courbe entre deux courbes paraît étrangement bancale : serait-il possible qu’un élément aussi fondamental que la façade de la « Canopée » sur le jardin n’ait pas été pleinement réussi ?

10e STATION
La place René Cassin : c’est assez révoltant mais il faut le dire et le répéter, car tout le monde avait prévenu, il ne fallait pas casser l’aménagement de cette place et il ne fallait pas laisser David Mangin réaliser cette ersatz mal fichu. Quel est le maître d’ouvrage public irresponsable qui a laissé faire cela ?

11e STATION
La destruction de la place René Cassin est incompréhensible, tout comme sont incompréhensibles les travaux gigantesques engagés sur le malheureux Jardin des Halles qui méritait certes rénovation mais pas intervention de type « Etat Islamique » à Palmyre.
Belle idée peut-être que de simplifier le jardin sous forme d’un grand « green » du côté de Saint-Eustache, mais que devient une belle idée lorsqu’il faut bien faire sortir les ventilations des sous-sols, les sorties de secours, maintenir les éclairages zénithaux, faire passer les pompiers, etc..
Le grand « green » devient un tapis émaillé de grilles, de garde-corps et d’édicules divers et ce n’est pas fini…

12e STATION
Retour vers le Forum par la rue Berger. Les installations de chantier (très belles boites minimalistes au demeurant) interdisent d’avoir une vision complète de la ligne sinueuse de la toiture de la « Canopée » en façade sur jardin. Néanmoins il est clair que côté Rambuteau la rencontre entre la courbe latérale et la contre courbe centrale donne lieu à une cassure qui en brise la continuité et que côté Berger la liaison n’est guère plus maîtrisée. La crainte ressentie à la 9e Station se confirme et l’enchainement des courbes en rive de la Canopée sur le jardin est totalement ratée.

13e STATION
Rue Berger, le long du marché couvert, retour vers la Fontaine des Innocents. Longue façade de centre commercial avec tout à coup une petite bosse dans la toiture, une excroissance qui signale l’entrée dans les sous sols. Mais rien qui signale l’espace central et pour cause : il est inaccessible depuis la rue.

14e STATION
Voilà, c’est la fin du parcours. Il y avait aux Halles un ensemble souterrain dont l’essentiel des circulations bénéficiait de la lumière naturelle et s’ouvrait sur des espaces publics extérieurs. Certains s’en souviennent, d’autres s’ingénient à l’oublier voire à le nier : ainsi Michel Guerrin, chroniqueur au Monde, décrivant l’ancien Forum le 16 avril 2016 comme un « labyrinthe sinistre » constitué de « boyaux noirs » et continuant ainsi la litanie des rumeurs mensongères seule en mesure de limiter la faillite morale de la nouvelle opération.
Innocentes victimes d’un nouveau chapitre de cette histoire maudite, les belles verrières aux arcs immaculés sont parties rejoindre les autres innocents dans le cimetière de notre mémoire.
En attente du prochain chapitre de l’histoire des Halles…

Georges Pencreac’h - 5 mai 2016

La version pdf de l'analyse de Georges Pencreac’h

2 réflexions sur « Visite de la Canopée avec Georges Pencreac’h, architecte du premier Forum des Halles »

  1. Je n'aurais pas dit mieux ! Aucun intérêt et même moins que cela. Si ce n'était pas si triste je serais fâchée, mais à quoi bon?

  2. Merci pour cette analyse qui tranche avec la suffisance et le charabia de Monsieur Berger, dont on découvre les propos sur le site internet de son agence à propos de son toit. A noter au passage l'extrait (mis en gras par mes soins), où Monsieur Berger affirme le rôle de son toit face aux intempéries (ce qui est cocasse compte tenu de son efficacité relative face aux dernières averses). Sur le site de l'agence on découvre également une image où la Canopée promet de protéger de la pluie.

    "Le projet a pour caractéristique d’être déduit du site : sa forme, ses espaces et sa matérialisation sont issues d’une confrontation entre l’état des choses et l’émergence des nouvelles énergies aux Halles. Ses principes architecturaux peuvent être résumés ainsi : une réorganisation du site. L’aménagement actuel, reparti sur une diagonale entre la Fontaine des Innocents et l’Eglise Saint Eustache fait place à une nouvelles configuration. L’ensemble urbain constitué par la Bourse, le jardin et la Canopée est unifié par une orientation de l’espace selon un axe Est/Ouest.Une dimension métropolitaine. La Canopée n’est que la partie visible d’une pièce urbaine de 500m de long en majeure partie souterraine. La gare s’étend en sous-sol jusqu’à la Seine. Agrandie et simplifiée, la station Chatelet-les-Halles et la plateforme d’échange forment une unité.Une porte de Paris. Une continuité est crée entre les deux sols de référence du site : celui de la ville au-dessus, celui du forum en dessous.
    On « monte » désormais vers Paris. Un microclimat pour un espace unitaire. La canopée est un abri à l’échelle urbaine contre les intempéries. Elle protège un espace global où l’on peut circuler en tout temps et en toute saison. Un système constructif adapté. Les choix constructifs résultent des deux contraintes majeures du site : Construire en prenant appui exclusivement sur les poteaux de la structure du sous-sol et sans arrêter le fonctionnement du forum et des transports. Il en résulte un ouvrage de grande portée en acier et en auto-traction. Une forme à l’équilibre. La morphologie de l’architecture résulte d’un équilibre entre toutes les dynamiques du programme et du site. Cette complexité a été optimisée en prenant comme modèle les morphogénèses de la nature. C’est une forme unique dans un site unique. Une homothétie des éléments et une enveloppe translucide. Les éléments constituants la Canopée présentent une parenté avec sa silhouette. L’enveloppe est conçue comme une substance. Sa matière est celle d’un verre céramique. Diffusant la lumière le jour, c’est un lustre la nuit. Le dessin de l’architecture a été fait librement mais guidé par ces principes.
    "

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