Association ACCOMPLIR

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Contribution de l’Association ACCOMPLIR

à l’élaboration du Programme d’urbanisme du projet de rénovation des Halles

 

Etape 2 – Octobre 2003

 

            En juillet 2003, après avoir organisé quatre réunions publiques thématiques ouvertes à tous les habitants, et plusieurs séances de travail interne, l’association ACCOMPLIR a diffusé largement une série de 90 propositions pour le projet de rénovation des Halles.

 

Ces initiatives prises pour lancer la concertation publique dès l’annonce du projet ont porté leurs fruits et ont rencontré l’ouverture d’esprit de la SEM Paris-Centre : les associations du quartier et le conseil de quartier des Halles ont été invités par la SEM à trois réunions successives de présentation des équipes de concepteurs et de débat sur leurs premières réflexions ; un site web va être ouvert par la SEM dans les premiers jours de novembre, et un forum électronique permettra aux habitants de poser leurs questions. Cet effort de concertation, commencé dès le lancement du projet, tranche avec les procédés autoritaires et opaques qui avaient été employés il y a trente ans et avaient abouti à des conflits violents.

 

            Cette première phase de la concertation va se terminer avec la rédaction d’un Programme d’urbanisme qui, à partir de toutes les réflexions qui ont été menées à la fois par les équipes de concepteurs, par la SEM, par la Mairie de Paris, par les services de la Ville et par les associations, va définir de façon plus précise ce qui est attendu du projet, et les contraintes qu’il doit respecter.

 

            Grâce à l’effort de transparence et de concertation de la SEM, nous avons pu avoir accès à des présentations des premiers travaux préparatoires des équipes de concepteurs. Pour contribuer à la préparation du Programme d’urbanisme, nous voudrions, dans le présent document,

 

-          réagir aux premières hypothèses présentées par les concepteurs, en distinguant

·         ce qui nous manque.

·         ce qui nous plaît

·         ce qui nous inquiète

 

-          proposer notre propre « vision » de ce projet, d’un point de vue global et synthétique par rapport à l’énoncé de nos 90 propositions, dont nous continuons d’espérer qu’elles seront prises en compte dans le Programme d’urbanisme.

 

1) Nos réactions aux premières hypothèses présentées par les concepteurs

 

Ce qui nous manque

 

Nous sommes déçus de ne pas avoir trouvé dans cette première phase plus de réflexions sur les usages et les fonctions du quartier. Construire ou aménager, d’accord ; mais pour qui ? pour quoi faire ?

 

Nous aurions aimé des réflexions innovantes voire utopiques sur les modes de vie, plutôt que seulement sur les options architecturales ou de décoration.

 

Nous sommes également déçus que la plupart des concepteurs se soient focalisés sur le Forum, et qu’ils aient fait si peu de propositions pour le reste du périmètre.

 

Ce qui nous plaît

 

-          l’accent mis sur le fait que notre quartier peut se définir comme un « carrefour humain » ;

 

-          la suppression d’une partie des voies routières souterraines et de certains accès en trémie pour réduire la pression automobile et requalifier l’espace public en surface. Nous suggérons également de « traiter » les trémies restantes en inversant le rapport de force actuel : jusqu’ici, tout a été fait pour canaliser les piétons et laisser toute la place aux voitures ; on peut remodeler beaucoup de choses en suivant la priorité inverse, canaliser les voitures et les obliger à céder le pas devant les piétons (feux tricolores à la sortie immédiate des trémies pour éviter aux piétons de grands détours, revêtements rugueux obligeant les véhicules à prendre conscience qu’ils sont dans un secteur à priorité piéton et à ralentir…)

 

-          l’accès à la voirie souterraine par le sud de la rue du Pont-Neuf, qui permettrait de traiter en sous-sol les livraisons des commerces de la rue de Rivoli et de la Samaritaine ;

 

-          la création d’une très grande gare souterraine, bien dimensionnée pour accueillir le trafic actuel et futur ;

 

-          le fait de redonner un volume spatial conséquent à la salle d’échange en créant une relation visuelle avec les quais et en regroupant les surfaces de bureaux ou de locaux techniques qui sont actuellement situées dans la salle sur les parkings latéraux ;

 

-          la création de nouveaux accès au pôle d’échange, par exemple à l’angle rue des Halles / rue Saint-Denis / rue de Rivoli, repéré comme le centre de gravité des gares souterraines, ou à la porte Berger, avec un accès direct vers la salle d’échange, ce qui devrait améliorer la sécurité mais aussi faciliter la représentation spatiale ;

 

-          l’apport de la lumière du jour dans la salle d’échange en ouvrant la place Basse ;

 

-          l’aplanissement du jardin et la suppression de la « bosse Montorgueil » ;

 

-          l’accolement d’un immeuble fin à la centrale thermique, rue de Turbigo ;

 

-          la rénovation des pavillons Willerwal et une meilleure adaptation des locaux aux équipements collectifs qu’ils abritent ;

 

-          pour la réalisation des travaux, le fait de considérer le chantier comme un projet en soi ; le concept de « micro-projets successifs » et de « chantiers en gants blancs ».

 

Ce qui nous inquiète

 

-          les projets des concepteurs sur le jardin : nous sommes très attachés à la configuration générale actuelle du Jardin, horizontal, non minéral mais planté d’arbres et de pelouses, continu et non morcelé, non constructible. Nous voudrions qu’il reste un endroit tranquille conciliant les zones de repos et les zones de circulation piétonne ; qu’il reste dédié à la gratuité et qu’il ne soit pas perturbé par des trouées ouvrant sur l’activité du sous-sol (autres que les portes actuelles du Forum, qui en revanche pourront être repensées). Nous ne voulons pas d’un parc habité, où des pavillons boucheraient la vue, même s’ils étaient surmontés de terrasses végétales, ni d’une vaste aire pouvant accueillir des spectacles à ciel ouvert, ni de végétalisation verticale si elle prétend remplacer des mètres carrés de jardin au sol.

 

-          la volonté de rompre la séparation « dessus-dessous », si elle doit conduire à déverser dans le jardin l’agitation bruyante du centre commercial : pour beaucoup de résidents mais aussi de personnes travaillant dans le quartier, le jardin offre un havre de paix vital ; dans certains cas il faut savoir ouvrir les espaces, dans d’autres cas les protéger ;

 

-          la suggestion de surélever l’ensemble du jardin sous la forme d’un « podium » : le jardin a aussi une fonction de communication et de transit piéton nord-sud et est-ouest ; s’il est surélevé, on étend à l’ensemble du jardin le problème rencontré avec la « bosse Montorgueil » ;

 

-          les projets de construction de tour ou d’immeuble de grande hauteur : nous n’en voulons ni dans le jardin, ni en bordure du jardin, ni à la place des pavillons Willerval. La tendance urbaine actuelle est à la re-densification des villes, et les architectes ont toujours envie de laisser une trace (très) visible de leur œuvre dans la ville. Mais notre quartier est suffisamment dense comme cela. Le Forum draine une foule énorme, la salle d’échange est à la limite de la saturation, même la circulation piétonne en surface est difficile à certaines heures, rue Berger ou rue Lescot par exemple. Ce ne serait pas raisonnable d’augmenter fortement les surfaces commerciales, que ce soit sous forme de magasins ou de bureaux : nous allons étouffer ! En revanche, cela paraît normal de remplacer les pavillons Willerwal, qui sont en très mauvais état et ne sont pas fonctionnels. Mais nous demandons que toutes les futures constructions respectent les règles d’urbanisme en vigueur à Paris, qu’il s’agisse des règles de densité, de gabarit, ou de hauteur des immeubles.

 

-          les projets de travaux inutiles ou faiblement utiles ; en particulier, nous ne voyons aucun intérêt à déplacer la piscine, le gymnase ou le Forum des Images pour les reconstruire cent mètres plus loin. Le mélange entre équipements culturels et commerces nous paraît harmonieux ; il ressemble à la vie et nous convient parfaitement. Nous préférerions que les investissements soient réservés à des choses plus utiles, dont nous avons proposé une liste déjà très conséquente dans nos 90 propositions ;

 

-          Le rapport souligne la triple vocation du site : locale, parisienne et régionale. C’est incontestable, mais il ne faut pas oublier que le site en question est malgré tout minuscule, et qu’on ne peut en aucun cas le traiter comme s’il était susceptible de devenir le « centre-ville » de Paris. Dans une capitale telle que Paris, il y a nécessairement plusieurs centres-villes. Ce qui caractérise ce « centre ville parmi d’autres » que sont les Halles (en surface), c’est justement une dimension relativement modérée, sans élément d’architecture écrasant, mais au contraire avec un jardin sans prétention mais facile à vivre, et des courbes douces et accueillantes qui en font (au moins pour certaines zones) un nid, une place de village, un endroit où on aime se donner rendez-vous ; ce n’est pas un lieu de rassemblement de masse comme la place de l’Hôtel de Ville, mais plutôt un lieu de rencontres ; bref, un lieu à taille humaine, totalement différent d’espaces beaucoup plus vastes ou plus ouverts, comme la Concorde, les Champs-Elysées ou encore la Bastille. C’est en quoi la notion d’hospitalité, utilisée par l’un des concepteurs, nous paraît particulièrement heureuse. Mais cette dimension humaine des Halles est fragile : si on accroît encore la densité de la foule qui le traverse, en augmentant trop les surfaces commerciales (commerces ou bureaux), en implantant dans le quartier de nouveaux équipements à grand public, en projetant d’y organiser des manifestations de masse, on court le risque de déshumaniser le quartier et de l’asphyxier. Grâce au RER, ce quartier est la principale porte d’entrée à Paris ; pour qu’il reste hospitalier, il faut gérer mieux les flux qui le traversent, et ne pas les augmenter inconsidérément.

 

-          Certaines équipes proposent d’étendre encore le domaine piétonnier : nous y sommes favorables… à condition qu’on s’assure auparavant du bon fonctionnement du domaine piétonnier existant. Les propositions sur le mode de fermeture du quartier piétonnier, sur le système de livraisons par le sous-sol, sur la limitation de l’extension des terrasses, sur la restitution de trottoirs dans les rues piétonnes et de revêtements adaptés restent très discrètes et incomplètes. Or la réussite même du projet nous paraît reposer sur un critère clef : la mise en place d’un système de circulation et de livraison cohérent et durable dans le quartier piétonnier.

 

2) Notre propre « vision » du projet

 

Nous sommes heureux que notre quartier fasse l’objet d’un projet d’aménagement urbain ambitieux, mais nous voudrions préciser sur quoi doit porter cette ambition pour nous.

 

L’époque des grands projets où l’on faisait table rase de quartiers entiers et où l’on perturbait gravement les équilibres existants pour accomplir des « gestes architecturaux » nous semble appartenir au passé.

 

Un quartier comme les Halles, par sa complexité, sa densité, le nombre incroyable des interactions qu’il comprend, est un véritable écosystème qui, pour l’essentiel, fonctionne bien, même s’il souffre de quelques déséquilibres.

 

L’ambition que nous proposons aux concepteurs, c’est d’intervenir sur ce quartier avec le soin et la délicatesse que requiert un écosystème fragile, et de se contenter de restaurer les équilibres qui ont été perdus et n’ont pas pu être compensés par les ressources propres de cet écosystème.

 

Pour cela, il faut, comme dans un écosystème, commencer par analyser les différentes fonctions avant de proposer des interventions, et privilégier une accumulation de petites interventions correctrices, plutôt que des interventions majeures qui risquent de provoquer encore plus de déséquilibres.

 

De même que dans un écosystème, les échanges et les circulations de matière sont fondamentaux, la clef de voûte de ce projet nous semble être la mise en place d’un système de circulation et de livraison cohérent et durable dans le quartier piétonnier. Tant qu’on ne se sera pas attelé à cette question fondamentale, tous les projets de construction, de destruction ou d’aménagement resteront relativement futiles. C’est pourquoi le programme d’urbanisme nous paraît devoir ménager une place centrale à cet aspect du projet, et notamment à la question de savoir comment mettre en place des livraisons par voie ferrée, des lieux de stockage, une distribution en surface grâce à des véhicules non polluants et d’un gabarit adapté aux rues, etc. On nous répond que la RATP ne sait pas gérer du fret, et que les heures de fermeture du réseau sont employées à l’entretien et à la maintenance, mais à l’occasion des championnats du monde d'athlétisme, la RATP a réussi à intercaler des trains spéciaux transportant les sportifs entre les rames normales, et ça n'a  posé aucun problème ; pourquoi ne pas ajouter des quais de livraison de marchandises à chargement et déchargement rapide de part et d’autres de la série des quais de voyageurs ? Une question cruciale est de savoir comment organiser un système qui puisse convenir à la fois aux grandes enseignes du Forum et du quartier, mais aussi aux petits magasins qui se font livrer une palette à la fois par d’énormes camions : quel dispositif matériel suffisamment attractif et quelles incitations mettre en place ?

 

De même que dans un écosystème, les différentes fonctions de la vie doivent trouver leur place et s’équilibrer harmonieusement, de même, les concepteurs du projet doivent veiller à ce que les différentes fonctions et usages s’équilibrent, et à ne pas rajouter continuellement « du même au même », en l’occurrence des surfaces commerciales aux surfaces commerciales. Ce quartier est un immense centre commercial, dans lequel les habitants et les usagers développent malgré tout des activités non marchandes et des relations conviviales, grâce aux équipements collectifs du quartier, mais aussi grâce aux espaces de gratuité qu’il comprend. Si on les perd en grignotant l’espace gratuit au bénéfice de l’espace marchand, ce qui fait l’âme et la vie de ce quartier disparaîtra et même les activités commerciales en souffriront. L’équilibre financier et économique de l’opération doit être recherché, mais le quartier contribue déjà massivement à la création de richesses économiques et d’emplois ; il mérite des investissements destinés à renforcer son attractivité ; il ne mérite pas des investissements qui finiraient par « tuer la poule aux œufs d’or ».

 

De même que dans un écosystème, chacun doit pouvoir trouver sa place en équilibre avec les autres, de même nous souhaitons que l’ambition du programme d’urbanisme soit non pas d’évincer certaines parties de la population au bénéfice d’autres, mais au contraire d’accueillir tout le monde et de renforcer et de protéger la mixité sociale qui caractérise encore ce quartier.

 

En ce qui nous concerne, nous sommes décidés à participer de manière positive à la concertation jusqu’au terme du processus, non seulement en tant que riverains directement intéressés à la forme que prendra le projet, mais aussi comme citoyens soucieux de contribuer à ce que notre quartier évolue dans le sens du développement durable, et ce pour le bénéfice de l’ensemble des Parisiens et des usagers ou visiteurs du site.

 

Nous nous félicitons que la SEM soit entrée dans cette démarche constructive d’échange, de transparence et de concertation, conformément aux intentions qui avaient été annoncées par le candidat Bertrand Delanoë lors de la campagne des municipales.