Entretien avec

Marie Jorio et Raphaël René-Bazin (RATP)

sur le projet de rénovation des Halles

29/10/03

 

 

Marie Jorio est ingénieur-urbaniste et Raphaël René-Bazin responsable de développement territorial à la RATP ; tous deux sont chargés du suivi de la mission d'étude du projet des Halles pour le compte de la RATP. Nous les remercions d'avoir répondu favorablement à notre demande d'entretien. Du côté d'ACCOMPLIR, assistaient à cette rencontre : Gilles Pourbaix (vice-président), Bernard Blot (trésorier), Elisabeth Bourguinat (secrétaire). Le présent compte-rendu a été relu et amendé par Marie Jorio et Raphaël René-Bazin.

 

La discussion a porté sur deux points principaux, la possibilité de mettre en place un système de livraison par voie ferrée ; les transformations envisageables de la gare souterraine et des sorties du métro et du RER.

 

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1) Le projet de livraisons par voie ferrée

 

La réponse à cette question a été très claire : la RATP n'envisage absolument pas de faire du transport de fret à l'heure actuelle. Son métier et sa priorité sont d'assurer le transport des voyageurs et de l'améliorer, en particulier sur certaines lignes de RER. Or le fait de prendre en charge du fret risquerait de compliquer encore le trafic des voyageurs et d'imposer des arbitrages délicats : si un convoi de fret avait du retard, ferait-on patienter les convois de voyageurs ? A l'heure actuelle, le RER B et le RER D utilisent le même tunnel entre les Halles et la gare du Nord, d'où une saturation du trafic. Le schéma directeur du STIF (Syndicat des Transports d'Ile de France), qui organise les transports en Ile-de-France, a inscrit le doublement de ce tunnel pour au-delà de 2015 ; à ce moment-là, cet apport d'une certaine souplesse supplémentaire permettra peut-être d'envisager d'ajouter du trafic ferroviaire sur cette portion, mais pour le moment cela paraît difficile.

 

Certains ont pensé à la période d'interruption de nuit pour faire ces livraisons, mais le temps d'interruption, très court, est utilisé pour faire des opérations de maintenance et de rénovation. Si on doit utiliser les voies, ce ne peut être qu'une fois le trafic voyageurs terminé (vers 1h15), sachant que les voies doivent être libérées avant que le trafic reprenne (les trains de travaux doivent être au terminus vers 5h00, avant le départ des premiers trains de voyageurs) ; c'est pourquoi il arrive que des portions de ligne soient fermées dès 20h30 pour permettre la réalisation des travaux.

 

Nous avons évoqué le fait que la RATP avait su mettre en place, l'été dernier, des trains spéciaux pour les sportifs de la coupe du monde d'athlétisme, trains qui étaient intercalés entre les rames habituelles ; mais cela se passait pendant l'été, donc à une période creuse, de manière très ponctuelle, et il s'agissait de voyageurs et non de marchandises.

 

Mettre en place un système de fret supposerait la création de quais supplémentaires, de zones de stockage, de trains destinés au fret et adaptés au gabarit de la RATP (écartement des rails, système « pneu » ou « fer », largeur des tunnels), de voies de communication entre la gare ferroviaire et la voirie et/ou de monte-charges entre le sous-sol et la surface ; tout cela représenterait des investissements colossaux.

 

Raphaël René-Bazin observe que la SNCF, qui en principe a de bien plus grandes facilités pour organiser le transport de marchandises, ne parvient pas à développer réellement le ferroutage ; or la RATP part d'une situation bien différente, puisqu'elle ne fait pas de transport de marchandises. Il lui semblerait plus facile, par exemple, d'imaginer une solution de ferroutage jusqu'à la Gare du Nord, avec un transport en camionnettes ensuite, même s'il faut savoir que cela nécessiterait la création d'entrepôts gigantesques et une grande complexité d'organisation, et que face à ces difficultés, les solutions purement « route » paraîtront toujours infiniment plus souples.

 

Enfin, parler de livraison par voie ferroviaire de façon abstraite n'a pas beaucoup de sens ; il faudrait établir un cahier des charges précis, organiser l'ensemble de la chaîne logistique avec les professionnels concernés, savoir quel type de marchandise devrait circuler, entre quel et quel endroit, avec quelle priorité, quelle solution de recours en cas de panne, etc.

 

Par exemple, à Madrid, il existe un système de transport de bagages pour les passagers du transport aérien entre une station de métro et l'aéroport : la dernière portion du quai n'est pas accessible aux voyageurs, mais seulement aux manutentionnaires, et le dernier wagon est réservé au transport des bagages. Mais il s'agit d'un seul type de « marchandise », d'un seul interlocuteur (l'aéroport de Madrid), et d'une gare neuve qui a été conçue dès le départ en aérogare avancée, avec un espace « dépose-minute » pour les taxis à l'extérieur, des espaces d'enregistrement, le transport mécanique des bagages depuis l'enregistrement jusqu'au quai, un système de chargement et déchargement rapide sous forme de containers, etc.

 

Nous avons demandé ce qui empêcherait de charger des containers dans un des wagons du RER : nous avons parfois vu charger dans le métro des machines de nettoyage ; la personne pose un petit support à cheval entre le quai et la porte du métro pour faire rouler son appareil, et cela ne prend que quelques secondes. Nos interlocuteurs ont souligné qu'en réalité les quais du RER et du métro dans la station Les Halles – Châtelet sont extrêmement chargés tout au long de la journée ; ajouter une circulation de containers retarderait les convois et pourrait poser des problèmes de sécurité ; d'une façon générale, cela dégraderait le service aux voyageurs, ce qui serait très préjudiciable à la RATP.

 

Avant toute chose, il faudrait aussi s'assurer de l'existence d'un « marché » pour ce nouveau type de livraison : de quel type de marchandises s'agirait-il ? d'où viendraient-elles ? et surtout quels clients seraient intéressés ? La FNAC, par exemple, serait-elle ou non intéressée ? A l'heure actuelle, les livraisons du Forum sont apparemment correctement assurées par la voirie souterraine ; le problème se pose surtout pour les petits commerçants du quartier piétonnier, qui se font livrer par des poids lourds à n'importe quelle heure de la journée ; or ils n'apprécieraient certainement pas de devoir aller chercher les marchandises dans une gare de fret souterraine au lieu de se les faire livrer devant leur porte. En revanche, peut-être qu'il serait possible de mettre en place un système de distribution de type DHL depuis la gare du Nord ou la gare de Lyon, avec par exemple trois tournées par jour en camions de petite taille.

 

Mais ce qu'il faudrait avant tout, c'est s'assurer de la possibilité de faire fonctionner le circuit de livraison dans sa partie aval, c'est-à-dire entre une gare de fret située aux Halles, qu'il s'agisse d'une gare routière ou d'une gare ferroviaire, et les magasins du quartier. Pour cela, dans un premier temps, il paraît plus logique de commencer par réorganiser la livraison par camions, en centralisant les arrivées de marchandises dans le Forum via la voirie souterraine et en expérimentant la livraison en surface par des véhicules propres et de petite taille. Dans un deuxième temps, si le système fait ses preuves, il sera peut-être envisageable d'utiliser la voirie ferroviaire pour acheminer les marchandises, et cela pourra avoir un sens en termes d'investissement.

 

Nos interlocuteurs nous ont fait remarquer que même pour ce qui est du réapprovisionnement des distributeurs de boissons présents sur les quais, la société Sélecta préfère passer par une camionnette qui va de station en station ; les boissons sont transportées sur un diable avec un système « trois roues » qui permet de descendre les escaliers. D'un côté, cela paraît aberrant de procéder de la sorte alors que le livreur pourrait prendre le métro et livrer sa marchandise de station en station ; mais d'un autre côté, cela supposerait qu'il charge et décharge tout son stock à chaque station, puisque la rame ne l'attendrait évidemment pas, ce qui est peut-être d'une manipulation plus difficile encore, surtout lorsqu'il y a du monde. On peut cependant supposer que le livreur perd énormément de temps à se garer avec sa camionnette et à parcourir les escaliers et les couloirs. Nos interlocuteurs nous ont donc promis de réfléchir à cette question avec la société Sélecta : ce serait une façon concrète d'amorcer la réflexion sur le transport de marchandise, à une toute petite échelle.

 

Nous avons en effet conclu qu'il faudrait, au moins, tenter une expérimentation pour repérer concrètement les points de blocage. De son côté, la RATP va mener cette enquête auprès de Sélecta ; de notre côté, nous allons essayer de trouver dans le quartier piétonnier un candidat potentiel à la livraison par la voirie souterraine des Halles, et voir avec lui quelles seraient les conditions concrètes de faisabilité. Le candidat auquel nous avons pensé serait le MacDo de la place des Innocents, qui se fait livrer deux ou trois fois par semaine par d'énormes camions ; nous allons prendre contact avec les responsables.

 

Nous sommes également tombés d'accord sur la nécessité de procéder de façon progressive : si le couperet « interdiction de livrer par camion dans le secteur piétonnier » tombait d'un seul coup, ce serait fatal à de nombreux commerces. Ce qu'il faudrait, c'est faire aller de pair une plus grande sévérité sur le respect des horaires de livraison (qui ne sont absolument pas respectés à l'heure actuelle), des dispositifs techniques contraignants (du type des bornes mobiles du quartier Montorgeuil), qui auraient l'avantage d'imposer le respect du créneau horaire de livraison dans la journée, et une offre alternative de livraison, passant par la création, dans le Forum, d'un pôle logistique routier à court terme, et d'un pôle logistique ferroviaire à long terme.

 

2) Les transformations de la gare souterraine et des sorties métro et RER

 

Créer un accès direct

 

Nos interlocuteurs reconnaissent que les accès actuels à la gare souterraine du RER sont insuffisants, en matière de sécurité mais surtout de confort et d'agrément ; de ce point de vue, le fait de faire descendre la lumière du jour le plus bas possible améliorerait notoirement les choses.

 

Dans l'immédiat, la RATP n'a pas pris position sur une solution ou une autre : elle attend la sortie des projets des quatre équipes au mois de février pour faire travailler à plein régime ses propres bureaux d'étude sur les différentes solutions proposées.

 

Sur le principe, ce que souhaite la RATP est un accès le plus clair et le plus direct possible vers l'extérieur, ce qui n'est pas incompatible avec des ouvertures sur le centre commercial, afin de ne pas faire de tort à ce dernier par rapport à la situation actuelle.

 

Quelques-unes des hypothèses envisagées côté RER

 

L'une des solutions envisagée consisterait à créer, porte Berger, un accès direct au niveau – 4 (celui de la salle d'échange), avec des guichets de vente de billets ; l'espace nécessaire supplémentaire pourrait être pris sur les parkings sud du Forum, qui sont relativement peu occupés.

 

La proposition de créer une gigantesque gare souterraine, d'une hauteur de 20 mètres, paraît financièrement pharaonique et quelque peu démesurée par rapport à la taille des quais actuels.

 

Par contre, la réorganisation des bureaux des équipes de maintenance qui occupent un espace relativement important dans la salle d'échange est tout à fait envisageable.

 

Nous avons signalé que la proposition de matérialiser, dans la salle d'échange, la disposition des quais de la gare souterraine améliorerait grandement la capacité d'orientation des voyageurs, dans ce grand espace informe où ils sont privés de tout repère.

 

Les commerces de la salle d'échange

 

En ce qui concerne les commerces de la salle d'échange, nos interlocuteurs ont souligné qu'il était trop tôt pour dire de quelle façon ils pourraient être redistribués. Ils ont cité l'exemple de la Défense, où le lien entre gare et commerces a été étudié avec soin ; par exemple, un magasin « Virgin » a été créé dans la gare RER et fonctionne semble-t-il très bien.

 

Nous avons insisté sur le fait que beaucoup de commerces de la salle d'échange nous paraissent très peu intéressants (cartes postales, cravates en soie…) ; en revanche, d'autres apportent un vrai service, comme le guichet SNCF ou le magasin de travaux photos : pour les gens qui passent par là matin et soir, c'est très pratique. Nos interlocuteurs nous ont répondu que même si les commerces que nous avons cités ne nous paraissent pas très intéressants, il est clair qu'ils marchent très bien, et qu'ils trouvent donc manifestement des clients. Nous avons alors insisté sur le fait que dans ce quartier TOUT se vend : les foires commerciales médiocres qu'on nous inflige sur la place des Innocents marchent très bien aussi ! Cela vaudrait la peine de se demander si les commerces existants répondent vraiment aux besoins des voyageurs, ou s'il pourrait y avoir des commerces qui y répondraient encore mieux.

 

Une convivialité problématique

 

Nous avons également demandé ce qui pourrait être fait pour améliorer la convivialité de la salle d'échange : installer des bancs, un café ? En fait, d'après nos interlocuteurs, il existait à l'origine des bancs et une salle d'attente, mais il est apparu que la salle d'attente n'avait pas d'utilité, puisque c'est en bordure des quais que les voyageurs attendent, et d'autre part que les bancs étaient occupés par des gens qui n'étaient pas forcément souhaités dans la salle ; ils ont donc été enlevés. A l'heure actuelle, un certain nombre de groupes se donnent rendez-vous dans cette salle, par exemple des groupes de déficients auditifs près de la porte Lescot, et des groupes d'Africains près des téléphones. L'enquête sociologique qui a été menée auprès des ces derniers a montré que ce rendez-vous permettait de s'échanger des cartes de téléphone, mais aussi de faire du trafic de téléphones volés. Il est clair que la priorité de la RATP est de privilégier la sécurité, même si l'aspect convivialité est pris en compte.

 

De nouveaux accès pour le métro

 

Le projet de sortie dans l'immeuble « Yves Rocher » qui est au carrefour rue des Halles / rue Saint-Denis / rue de Rivoli serait très intéressant parce qu'il permettrait de visibiliser l'accès au métro et d'offrir un accès plus confortable que celui de la rue de Rivoli, notoirement insuffisant. Cet immeuble se trouve au bout des quais de la ligne 1 et de la ligne 4, à mi chemin entre la gare de la place du Châtelet et la gare des Halles ; il est au bout du tapis roulant qui conduit aux Halles. Si cet accès était réalisé, il pourrait prendre la forme de l'accès à la ligne Eole rue du Havre. La création de cet accès concernerait principalement le métro et ne serait en aucun cas une alternative à la transformation des accès du Forum, qui sont de toute façon nécessaires.

 

La sortie qui a été envisagée pour la ligne 4 directement dans le Jardin ne paraît pas une priorité. Certes, il faudrait améliorer la sortie de la rue Rambuteau, qui est peu visible (d'autant qu'elle est en partie masquée par le kiosque), mais il n'est pas évident qu'il soit vraiment utile d'ouvrir le quai de la ligne 4 à l'air libre. Ce qu'il faut, c'est améliorer la liaison entre la ligne 4 et le RER d'une part, améliorer la liaison entre la ligne 4 et l'extérieur d'autre part. De notre côté, nous craignons que l'ouverture de la ligne 4 dans le Jardin ne nuise fortement à la tranquillité de ce dernier (bruit des métros, arrivée directe de la foule pour une circulation de transit seulement).