Entretien avec

Delphine Lévy (Cabinet du Maire de Paris)

Agnès El Majeri (cabinet de Gisèle Stievenard,

chargée de la solidarité et des affaires sociales)

et Alain Le Garrec (Président de  Paris-Centre, en charge du projet des Halles)

sur le projet de rénovation des Halles

29/09/03

 

 

            Suite à la publication de nos 90 propositions pour le projet de rénovation des Halles, nous avons été invités à l’Hôtel de Ville pour une réunion avec Delphine Lévy (Cabinet du Maire de Paris), Agnès El Majeri (cabinet de Gisèle Stievenard, chargée de la solidarité et des affaires sociales) et Alain Le Garrec (Président de Paris-Centre, en charge du projet des Halles), sur celles de nos propositions qui concernent plus particulièrement les questions sociales.

 

            L’association ACCOMPLIR était représentée par :

 

-         Elisabeth Bourguinat,

-         Régis Clergue-Duval,

-         Sophie Dalle,

-         Anne Hémar.

 

Nous avons travaillé sur les propositions regroupées dans les rubriques suivantes :

 

Mixité sociale du quartier (propositions 2 à 5)

Action sociale (propositions 26 à 29)

Accueil des « habitants sans-abri » du quartier (propositions 30 et 31)

 

            Dans le présent compte-rendu, qui a été relu et validé par nos trois interlocuteurs, les propositions concrètes qu’ils nous ont faites apparaissent en souligné.

 

*

 

I – Mixité sociale du quartier (propositions 2 à 5)

 

Proposition 2 : la création de nouveaux logements sociaux et intermédiaires dans le périmètre, dont une proportion importante de logements F3 ou F4 permettant d’accueillir des familles

 

Selon A. Le Garrec, le projet devra à l’évidence inclure des logements sociaux, mais ce ne sera certainement pas facile, car les prix vont beaucoup monter. Depuis deux ans déjà, la SEM-Centre et la Ville ont développé une politique d’achat d’immeubles en prévision du projet de rénovation des Halles, car les mouvements spéculatifs qui s’observent aujourd’hui étaient prévisibles.

 

Voici le bilan actuel des opérations réalisées en vue de créer des logements sociaux dans le quartier depuis 2001 :

 

-         Achat par l’OPAC de l’immeuble du n° 32 rue de la Grande Truanderie : 17 logements prévus, dont 4 logements PLAI (Programme Locatif Aidé d'Intégration) et 13 logements PLUS (Programme Locatif à Usage Social)

-         Achat par la SEM-Centre de l’immeuble du 85 rue Rambuteau : 21 logements PLUS

-         Réhabilitation par la SEM de l’immeuble du 98 rue Rambuteau : 6 logements PLUS

 

La SEM étudie par ailleurs la possibilité d’acheter l’immeuble du 8, rue de la Cossonnerie et celui du 25, rue Saint-Denis.

 

 

Proposition 3 : le recensement de tous les appartements inoccupés (le quartier connaît l’un des plus forts taux d’inoccupation parisiens), opération qui pourrait éventuellement être organisée avec le concours de la mairie, du conseil de quartier et des associations 

 

Agnès El Majeri indique qu’une opération de ce type a eu lieu dans le 3ème arrondissement : des étudiants ont été embauchés pour passer dans tous les immeubles, repérer les logements vides et enquêter pour savoir qui en était propriétaire. Mais ce type d’opération, qui a un coût relativement important, ne donne qu’un très faible résultat : beaucoup de propriétaires refusent de louer leur appartement car ils savent qu’ils en tireront un meilleur prix s’ils le vendent vide.

 

 

Proposition 4 : un effort particulier en faveur des propriétaires d’appartements du périmètre qui ne louent pas leurs appartements, pour les convaincre de confier la gestion de la location à la Ville de Paris, selon le dispositif instauré par la mandature de Bertrand Delanoë 

 

Même remarque : la mise en oeuvre de ce dispositif, destiné à permettre d’offrir des logements à des loyers modérés, la mairie prenant en charge les travaux et garantissant le paiement du loyer aux propriétaires, a abouti à la location d’une centaine d’appartements sur l’ensemble de Paris, pour un coût, là encore, non négligeable.

 

 

Proposition 5 : l’augmentation de la capacité d’accueil pour les personnes âgées par la création, dans l’arrondissement, d’une résidence médicalisée et de logements libres adaptés

 

A. Le Garrec estime que l’accueil des personnes âgées, y compris dans un quartier qui est plutôt « jeune », est une exigence ; il a d’ailleurs demandé la création d’une résidence médicalisée pour personnes âgées dans l’est du 1er arrondissement soit inscrite dans le PLU. C’est une des formes que pourrait prendre la contrepartie attendue par la Ville en échange de l’augmentation du nombre de mètres carrés commerciaux dans le cadre du projet de rénovation.

 

Régis Clergue-Duval indique qu’il existe aujourd’hui des projets voire déjà des réalisations de maisons pour personnes âgées accueillant aussi des étudiants, ceux-ci se répartissant des tours de garde ; pourquoi ne pas étudier ce type de dispositif ou d’autres formules mixtes de logements sociaux ? Agnès El Majeri signale que la Mairie de Paris étudie, avec l’Etat, un projet, proposé par les Petits Frères des Pauvres, de « maison relais » accueillant à la fois des personnes âgées en situation d’exclusion et des jeunes travailleurs, dans le 14ème arrondissement.

Cela dit, A. Le Garrec souligne que l’implantation d’une résidence de personnes âgées dans la zone touchée par la rénovation ne va pas aller de soi, compte tenu de la rareté des mètres carrés utilisables. Elisabeth Bourguinat souligne que ce projet d’urbanisme étant porté par une mairie de gauche, il faut qu’il donne une place significative à l’action sociale, sans cela en quoi se distinguera-t-il d’un projet d’urbanisme « classique » ? Régis Clergue Duval suggère d’implanter cette résidence pour personnes âgées bien en vue dans l’îlot Berger côté rue du Pont-Neuf et Saint-Honoré (dans l’hypothèse où celui-ci serait remanié) : ce serait un signe fort de l’attention portée aux personnes les plus vulnérables.

 

 

II – Action sociale (propositions 26 à 29)

 

Proposition 26 : la création d’un « point d’accueil et d’écoute » ouvert à tous, qui aide les gens à remplir leurs papiers et les oriente éventuellement vers des institutions spécialisées (CAF, CPAM, ANPE, juristes…)

 

Elisabeth Bourguinat souligne que beaucoup de personnes quittent leur domicile en banlieue bien avant que les bureaux de la CAF ou de la CPAM ouvrent, et retournent chez elles après leur fermeture. Il serait intéressant que ces organismes puissent disposer dans le Forum à proximité du RER ou même dans le RER, d’un bureau d’information permettant de répondre aux questions de base (qui a droit à telle ou telle prestation, quel papier faut-il pour obtenir telle aide, etc.).

 

Delphine Lévy suggère de soumettre à Anne Hidalgo (Première adjointe du Maire) l’idée de créer une « antenne service public » dans le Forum.

 

 

Proposition 27 : le rétablissement, toujours dans ces espaces, d’une antenne pour le club de prévention du centre social La Clairière, extrêmement actif et efficace dans le quartier, et qui s’investit notamment auprès des populations antillaises du jardin, sans disposer de local sur place.

 

A. Le Garrec indique que La Clairière pourrait peut-être utiliser les locaux du Parrainage des Cheveux Blancs (62 rue Saint-Honoré) pour certaines de ses activités, à des créneaux horaires où ceux-ci sont actuellement inutilisés. Par ailleurs, en face du Parrainage se trouve un ancien hôtel qui ne se prête pas à la création de logements, mais dont les chambres pourraient être utilisées pour studios ou mini-studios « passerelle », dans un but d’insertion ; ils pourraient également être confiés à la gestion de La Clairière.

 

 

Proposition 28 : la création d’une « maison de la justice », avec des médiateurs facilement accessibles et aidant à résoudre les petits litiges de la vie quotidienne

 

Delphine Lévy indique que la création de « Maisons de Justice et du Droit » relève du Ministère de la Justice ; celui-ci a prévu la création de trois centres de ce type à Paris, dans le 10ème, le 14ème et le 17ème arrondissements, mais il n’y en aura pas d’autres dans l’immédiat.

 

En revanche, il est prévu de créer cinq PAD (Points d’Accès au Droit) d’ici 2006. Les PAD ne peuvent pas réaliser de médiations pénales ; en revanche ils peuvent s’occuper de médiation civile (conflits de voisinage, etc.), et fournir toutes les informations juridiques. Le premier va ouvrir dans le 18ème arrondissement prochainement. Quatre des cinq PAD prévus sont déjà localisés ; le cinquième, à réaliser en 2006-2007, ne l’est pas encore. Il n’est pas envisageable qu’il soit implanté dans le secteur des Halles, en fonction des demandes des différents maires d’arrondissement, car le secteur est mentionné dans le contrat de Ville.

 

Proposition 29 : pour reprendre la tradition des écrivains publics du charnier des Innocents, la création d’un bureau d’écrivains publics 

 

(pas de réponse particulière)

 

III – Accueil des « habitants sans-abri » du quartier (propositions 30 et 31)

 

Proposition 30 : la création, dans le quartier, d’un local d’accueil de jour pour les sans-abris, qui permettra de compléter le local de l’Agora Emmaüs, largement surchargé.

 

Proposition 31 : la création d’une ou plusieurs « salles de repos » sur le modèle des salles d’attente des grandes gares ; particulièrement destinées aux sans-abris, qui sont épuisés par leurs pérégrinations incessantes, elles pourraient se situer en sous-sol ; les sièges ou les couchettes pourraient être posés sur un coffre dans lequel ces personnes pourraient mettre leurs affaires à l’abri pendant leur repos ; les rotations se feraient par demi-journée, tout devant être vidé le soir, et la gestion de ce lieu pourrait être confiée à une association caritative ; une de ces salles pourrait être accessible depuis la surface, et une autre directement depuis le RER ou le métro, d’où les sans-abris se font régulièrement rejeter.

 

A. Le Garrec souligne qu’à l’heure actuelle, beaucoup de sans-abris vivent dans le quartier des Halles en surface, mais beaucoup aussi en sous-sol, notamment dans la voirie souterraine ; l’hypothèse de la fermeture d’une partie de la voirie souterraine entraînera l’impossibilité pour eux d’y trouver refuge (en hiver, jusqu’à plusieurs dizaines de personnes y dorment).

 

Sur cette question, tout l’enjeu de la rénovation est d’essayer de revenir à une véritable prise en compte de ces personnes dans le quartier, conformément à la tradition des Halles selon laquelle elles faisaient l’objet d’une attention particulière, sans cependant créer une offre d’accueil telle qu’elle serait susceptible d’attirer encore plus de sans-abris dans le quartier.

 

Delphine Lévy souligne que d’après les riverains, les nuisances provoquées par l’implantation de structures d’accueil pour les sans-abris sont très variables : l’Agora Emmaüs de la rue des Bourdonnais, de par sa taille et de par la variété des services proposés, notamment la restauration, crée manifestement des nuisances importantes dans le voisinage ; en revanche, des structures plus petites et avec des objectifs plus ciblés, telles que celle de la rue Saint-Bon dans le 4ème arrondissement, qui offre une trentaine de lits d’urgence, passent quasiment inaperçues ; de même, le « Resto du cœur » qui a été implanté dans la rue Rambuteau (côté 3ème) s’intègre bien à son environnement parce que la population qu’il accueille est très mélangée et comprend notamment beaucoup de familles.

 

Pour Régis Clergue-Duval, il est évident qu’il ne s’agit pas d’annoncer la création d’un dispositif unique aux Halles, mais d’un plan comportant la création de plusieurs nouveaux centres d’accueil répartis dans Paris : il faut que notre quartier assume sa part de l’accueil des démunis, mais en lien avec d’autres centres répartis dans Paris.

 

Concernant l’Agora Emmaüs, Agnès El Majeri souligne que la nouvelle direction se montre très désireuse de participer à la concertation. La difficulté particulière posée par ce centre est qu’il offre une prestation assez rare dans Paris, le petit déjeuner : du coup, beaucoup de personnes affluent dans le quartier pour pouvoir en bénéficier. Il faudrait donc s’interroger sur la possibilité d’offrir cette prestation dans d’autres centres d’accueil dans le quartier ou sur l’ensemble de Paris. Une autre possibilité consisterait à trouver des médiateurs de rue, capables de gérer les problèmes de voisinage.

 

A. Le Garrec rappelle que l’association « Aux captifs la libération » avait proposé d’intervenir auprès des personnes qui attendent dans la rue, à condition que des postes soient créés pour cette tâche. A. Le Garrec avait suggéré au Maire du 1er d’organiser une réunion de concertation entre la direction de l’Agora, l’association des « Captifs », Gisèle Stievenard et Mylène Stambouli (adjointe chargée de la lutte contre l’exclusion) pour aborder cette question, mais cette réunion n’a pas eu lieu.

 

Agnès El Majeri souligne cependant que l’intervention des maraudes est destinée aux personnes à la rue qui ne font pas appel aux structures sociales, ce qui n’est pas le cas des personnes qui s’adressent à l’Agora Emmaüs ; de ce fait, un médiateur de rue serait plus approprié pour intervenir sur la rue des Bourdonnais.

 

En ce qui concerne les propositions d’ACCOMPLIR, Delphine Lévy et Agnès El Majeri estiment que la construction de salles de repos destinées aux SDF (proposition 31) ne serait pas très satisfaisante : l’expérience des équipes du « Recueil social » de la RATP est que les SDF qui passent leur vie dans le métro finissent par perdre leurs dernières repères d’espace et de temps, ce qui est fortement désocialisant ; c’est pourquoi elles s’efforcent de les en faire sortir régulièrement. Créer des lieux où les personnes pourraient se réfugier et dormir à l’heure où les gens ordinaires sortent et se livrent à leurs activités irait à l’encontre de l’objectif de réinsertion, qu’il faut conserver même s’il paraît très hypothétique pour beaucoup de ces personnes. De plus, de tels lieux ne seraient pas adaptés à un travail social et seraient donc purement des lieux de « surveillance ».

 

C’est pourquoi il paraît beaucoup plus positif de favoriser la création d’ESI (Espaces Solidarité Insertion) supplémentaires, qui permettent un vrai travail d’insertion ; en ce qui concerne les SDF, cette notion d’insertion ne signifie en général malheureusement pas un retour rapide à l’emploi ou même au logement, mais au moins le fait d’accomplir les démarches qui permettent d’accéder aux droits sociaux : RMI, CMU (Couverture Maladie Universelle), etc.

 

Ces centres d’accueil sont pris en charge par la DDASS, la RATP et le Département ; il est prévu d’en créer trois supplémentaires d’ici à 2007, dans le 11ème, le 12ème et le 18ème arrondissements. Il n’est donc pas prévu d’en créer dans le 1er ; en revanche il devrait être envisageable de créer dans le quartier des Halles une antenne de l’Agora Emmaüs pour désengorger le site de la rue des Bourdonnais, sous réserve d’un accord de la DDASS, de la RATP et de l’association Emmaüs.

 

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Conclusion

 

Les représentants d’ACCOMPLIR ont été très satisfaits de cet entretien qui a permis d’avancer de façon très concrète sur les propositions faites par l’association. Ils ont obtenu la confirmation que les propositions qui ont été retenues seront présentées dans le programme d’urbanisme du projet de rénovation des Halles qui va être élaboré au cours du mois d’octobre par la Mairie de Paris ; en effet, ce programme ne doit pas se contenter d’aborder les grandes options architecturales ou de gestion de l’espace, mais il doit aussi apporter des précisions concernant les usages et la nature des équipements projetés. A. Le Garrec rappelle que bien entendu, l’objectif pour février 2004 n’est pas d’obtenir un plan mètre carré par mètre carré de la disposition des locaux, mais une série de propositions sur les remaniements architecturaux et sur la répartition des équipements.