Catherine, Claire, Elisabeth, Ginette et Régis ont rencontré trois responsables de l’Agora-Emmaüs : André Lacroix, directeur d’Emmaüs Paris ; Ly Pape, directeur adjoint de l’Agora ; Frédérique Rastoll, responsable des bénévoles de l’Agora. Un nouveau directeur, Rachid Benferhat, doit prendre prochainement ses fonctions.
Présentation générale
La fédération Emmaüs France comprend de nombreuses structures, regroupées en trois secteurs :
- les communautés d’Emmaüs regroupent des « compagnons
» qui s’occupent de recueillir, restaurer et revendre des objets
;
- l’action sociale et le logement :
• la société d’HLM Emmaüs compte 10.000 logements
;
• la Fondation Abbé Pierre gère des logements pour les plus
défavorisés
• l’association Emmaüs Paris vient en aide aux sans-logis
- l’économie sociale : l’entreprise « Le relais »,
une entreprise d’insertion, récupère des vêtements
usagés dans des containers disposés par exemple sur les parkings
des grandes surfaces.
L’association Emmaüs Paris
L’association Emmaüs Paris dispose de 2.000 lits, dont 1.100 lits d’urgence (elle gère par exemple une cinquantaine de lits dans le centre d’accueil de Nanterre). Ces lits sont occupés soit pour un soir (les lits d’urgence), soit pour des durées variées qui peuvent aller jusqu’à trois ou quatre ans dans les centres familiaux.
Emmaüs Paris reçoit chaque jour 3.000 personnes dans ses centres d’accueil de jour. Elle compte 300 salariés et 300 bénévoles, ainsi que 80 compagnons qui se consacrent à l’accueil dans les centres d’hébergement.
L’Agora
L’Agora est un « espace solidarité insertion » qui se trouve au 32 rue des Bourdonnais, siège « historique » de l’association Emmaüs (l’abbé Pierre y a personnellement vécu).
Il comprenait auparavant une quarantaine de lits pour l’accueil de nuit, mais depuis quatre ans c’est devenu un centre d’accueil de jour, qui fonctionne 24h sur 24 et 365 jours sur 365 et offre « un accueil anonyme, inconditionnel, global et gratuit ». Le terme « global » signifie que l’ensemble des problèmes rencontrés par la personne sont pris en compte, et que l’association s’efforce d’y apporter des réponses, soit directement, soit en l’adressant vers des partenaires ou vers les services publics (hôpital…).
Les journées se déroulent de la façon suivante
Entre 9h et 12h-12h30
Entre 200 et 350 personnes, suivant les jours, sont accueillies dans la grande salle, et bénéficient de l’ « écoute debout » : les personnes ne sont pas reçues individuellement dans un bureau, mais ce sont les salariés de l’association qui vont parmi elles, entrent en contact, identifient leurs besoins et recueillent leurs demandes.
Pendant ce temps, ces personnes peuvent disposer de l’ensemble des services de base : boissons chaudes, douches, WC, lavage des vêtements. Certains jours de la semaine, des services plus « pointus » sont proposés : dentiste, podologue, permanence CPAM, permanence juridique… Les personnes peuvent également demander à s’inscrire pour un hébergement pour le soir, ou demander de l’aide sur des problèmes de santé.
Pendant cet accueil du matin, les gens sont également invités à s’inscrire aux ateliers de l’après-midi : recherche d’emploi, cours d’informatique, cours de français langue étrangère, cours d’anglais, construction administrative… Des animations culturelles sont également proposées de temps en temps (visite du Louvre, visite du Salon de l’Agriculture…)
Tous les jeudis matin, de 11h à 12h, un débat est organisé, sur des thèmes tels que : l’importance de l’apparence dans les rapports sociaux ; la franchise ; les valeurs et les codes de conduite ; la citoyenneté ; la conquête des droits et le partage ; l’humanisme et l’existence. Une stricte discipline est observée dans le tour de parole.
De 12 heures à 14h
Tout le monde sort, et la salle est entièrement lavée. Aucun repas n’est servi sur place ; si c’était le cas, l’affluence serait trop importante et ingérable. La plupart des SDF ne déjeunent pas. Ils sont invités à se disperser mais beaucoup restent dans les environs pour revenir l’après-midi. Comme beaucoup d’entre eux sont en situation irrégulière, ils évitent le jardin des Halles, où les contrôles policiers sont fréquents.
De 14h à 17h
L’après-midi ont lieu les ateliers ; en revanche la grande salle est vide. Il est envisagé d’organiser des animations « autonomes » (bibliothèque notamment), qui permettraient d’accueillir une quarantaine de personnes supplémentaires à ce moment de la journée.
De 17h à 18h30
La grande salle est à nouveau entièrement lavée.
De 18h30 à 22h
Un repas est servi entre 18h30 et 20h à 200-300 personnes, qui ne sont pas forcément les mêmes que le matin. Parmi les personnes qui viennent seulement à ce repas du soir, beaucoup sont des gens qui, bien qu’ils travaillent, n’ont pas les moyens de se loger (d’après André Lacroix, leur nombre va aller en augmentant).
De 22h à 5 heures du matin
A 22h, le centre ferme ses portes. Un bus accueille une quarantaine de personnes pour les conduire dans un accueil de nuit qui se trouve gare de l’est : il s’agit d’un train couchettes comprenant 150 places, dont 40 sont confiées à l’association Emmaüs. Ce sont les SDF eux-mêmes qui régulent l’accès à cet accueil : sont privilégiés les plus âgés, ou les plus fatigués.
C’est également l’heure où commencent les « maraudes » : salariés et bénévoles sillonnent à pied, par équipes de deux au moins, les 6 arrondissements du centre, en emportant un sac à dos qui contient des boissons chaudes, des soupes, des barquettes alimentaires. Ils connaissent environ 400 personnes qui dorment régulièrement à des endroits donnés et vont les voir ; ils rendent visite à environ 80 d’entre elles chaque nuit. Il faut savoir que les SDF dorment rarement plus de deux heures d’affilée, car dans la rue, on se sent insécurisé. Quand ils dorment en groupe, l’un d’entre eux reste éveillé pour surveiller leurs affaires.
Il s’agit de personnes qui ne feraient pas forcément l’effort de venir sur place bénéficier des services qui sont offerts, c’est pourquoi l’Agora va à leur rencontre ; pour les inciter à venir au 32, rue des Bourdonnais, il leur est offert des « bons de petit-déjeuner ».
De 5h à 8h du matin
Une centaine de personnes sont accueillies pour un petit déjeuner de qualité, servi à volonté ; n’y ont accès que ceux qui ont reçu un « bon » spécial pendant la nuit, sans quoi l’Agora serait débordée (quand elle offrait ce petit-déjeuner à tous ceux qui se présentaient, ils affluaient de tout Paris).
De 8h à 9h
La grande salle est entièrement lavée.
Pendant les périodes de grand froid
Pendant les périodes les plus froides de l’hiver, l’Agora reste ouverte 24h sur 24h ; la nuit, des tatamis sont disposés sur le sol de la grande salle, et 80 personnes peuvent y dormir.
L’absurdité de certaines situations
Ginette fait remarquer que parmi ces personnes, beaucoup sont d’origine étrangère et disposent de titres de séjour, mais sur lesquels figure l’interdiction de travailler : mais comment vivre sans travailler ? Ils sont condamnés par cette situation absurde à se clochardiser. André Lacroix ajoute que parmi les personnes qui viennent de l’est, notamment, beaucoup ont des diplômes et connaissent des métiers pour lesquels il y aurait de l’embauche en France ; mais dans tous les cas il leur est interdit de travailler.
Les nuisances pour les riverains
L’Agora fait l’objet de beaucoup de plaintes de la part des riverains, ce qu’André Lacroix comprend dans un certaine mesure : la présence massive de ces personnes dont beaucoup ont une apparence dégradée crée des nuisances ; les riverains se plaignent de la saleté, du bruit, des bagarres, de l’agressivité de certains.
Une solution avait été envisagée : que deux éducateurs de rue se chargent de veiller au comportement de ces personnes pendant les périodes où la salle est fermée, et leur demandent de se disperser au moment où elles quittent l’Agora. Une seule personne est « fixée » dans cette rue et refuse obstinément d’en partir ; mais s’il n’y avait que cette personne, sans doute les riverains l’accepteraient-ils. Malheureusement, l’Agora n’a pas obtenu de la DDASS l’attribution de deux éducateurs de rue pour assurer ce travail.
Il faut savoir que tous les « espaces solidarité insertion » de Paris reçoivent la même subvention forfaitaire de deux millions de francs par an (la moitié par la Ville, la moitié par l’Etat), et ce quel que soit le nombre de personnes qu’elles accueillent : 50 à 60 au maximum pour certains centres, mais jusqu’à 350 pour l’Agora, « victime » de la grande taille de ses locaux. Compte tenu de ses faibles ressources, elle ne peut prélever sur ses effectifs les deux personnes qui seraient nécessaires pour assurer la surveillance à l’extérieur.
Sur ce point, plusieurs suggestions ont été faites :
- peut-être, à défaut de disposer d’éducateurs de rue, l’Agora pourrait-elle au moins provisoirement recourir à des bénévoles ?
- une partie des plaintes des riverains concerne l’état de saleté de la rue : ne serait-il pas envisageable que certains SDF soient chargés, à tour de rôle, du nettoyage de la rue ? (ramassage des canettes vides, des papiers et détritus divers). Cet effort de citoyenneté et d’auto-prise en charge serait certainement extrêmement bien perçu par les riverains.
- Ne serait-il pas possible, dans le cadre du projet de rénovation des Halles, de mettre en place un autre centre d’accueil, qui ouvrirait en complémentarité avec l’Agora, c’est-à-dire pendant ses heures de fermeture ?
Un représentant de l’équipe de travailleurs sociaux va assister à la réunion de concertation organisée par ACCOMPLIR le 28/03, et par ailleurs l’équipe va réfléchir aux équipements complémentaires qui pourraient être envisagés et permettraient de contribuer à réduire les nuisances provoquées dans la rue des Bourdonnais.
retour au menu "dossiers d'ACCOMPLIR" ou à la page d'accueil