A Paris, les Halles embarrassent Delanoë
La Ville de Paris repousse à l'automne le choix de l'architecte qui doit les réaménager.

Par Sibylle VINCENDON
samedi 29 mai 2004

Les Halles, quartier maudit. La première opération urbaine avait été un vrai casse-gueule pour les politiques de la fin des années 70. L'actuelle s'annonce au moins aussi épineuse pour Bertrand Delanoë, maire de Paris. Signe de cette difficulté : le report du choix de l'architecte, annoncé jeudi. La commission d'appel d'offres de la Ville de Paris devait se réunir fin juin pour choisir le lauréat du «marché d'études de définition pour le réaménagement du quartier des Halles». Elle ne le fera pas «avant l'automne», explique maintenant la mairie de Paris. «Il y a énormément de gens qui veulent donner leur avis, dit-on au cabinet du maire. On n'est pas à deux mois près.» L'exposition des quatre projets, qui se tient actuellement au Forum des Halles, sera prolongée tout l'été. Et les équipes «entendues à nouveau».

Mais par qui ? Comment ? Dans quel cadre juridique ? Le flou qui régnait encore vendredi sur ces questions témoignait à sa manière de l'embarras des décisionnaires. Il était question de refaire passer les équipes devant le comité de pilotage, qui doit se réunir à la mi-juin, et qui les avait déjà auditionnées une première fois. Mais pour leur demander quoi ? Juridiquement, elles ne peuvent pas modifier leur copie. Seulement insister sur les évolutions possibles de leur projet à l'intérieur de l'épure rendue.
Et surtout, sur le changement le plus simple : bâtir moins.

Pour le Français Jean Nouvel et le Néerlandais Rem Koolhaas, c'est la question centrale. Le premier, qui a livré un projet très construit, dit qu'on lui a «demandé de moduler la  proposition avec différentes hypothèses de densité». Le deuxième, qui fait pousser vingt et une «émergences», les considère comme les pièces d'un jeu d'échec, «que l'on peut jouer avec cinq ou six pièces seulement», explique Floris Alkemade, son chef de projet. L'un comme l'autre, donc, peuvent «déshabiller» leur projet.
Le troisième concurrent sérieux, David Mangin, admet, lui, qu'il n'a «pas beaucoup de marge de manoeuvre» pour livrer une version minimisée. Enfin, le quatrième, Winy Maas, semble définitivement écarté à cause de l'aspect un peu trop prototype de ses choix.

Les trois sérieusement en lice ont accueilli diversement le report. Pour David Mangin, ce n'est pas une bonne nouvelle car il a bénéficié du soutien du collectif Rénovation des Halles et de l'association des commerçants du Forum. Ce qui pèse dans une ville dont le maire a fait de la démocratie de proximité une valeur clé. Pour les deux autres, en revanche, le délai peut
être utile. Une intéressante bataille de communication semble sur le point de démarrer. Jean Nouvel la revendique : il va utiliser le temps offert pour «organiser des visites du site, parler avec les gens». Ce qu'il fait déjà, dans l'exposition du Forum. Côté Koolhaas, on met au point une conférence à Beaubourg. L'architecte voudrait en particulier expliquer aux Parisiens
qu'il a construit une bibliothèque à Seattle avec la participation des habitants et que la concertation, il sait faire.

Car c'est le point central pour le maire. Il apparaît de plus en plus nettement que l'équipe Delanoë est embarquée dans une opération qui la dépasse un peu. Prévu au départ pour un toilettage, le concours des Halles est devenu ce qui pourrait être l'opération urbaine phare de la mandature. Par le choix des architectes, connus, et par leurs propositions, fortes. Les
politiques ont été un peu pris de court par l'ampleur des changements qui s'annonçaient. Or, comme dit Olivier Peray, de l'association Paris des Halles, «jusqu'à présent, en urbanisme, il y avait un gars qui tapait du poing sur la table et qui disait : "C'est comme ça." Là, on nous a vraiment informés, écoutés, avec les défauts qu'implique la concertation». La peur de
déplaire en particulier. Il y a un mouvement d'opinion, modeste mais réel, pour le projet Mangin. Celui de Koolhaas, qui aurait les faveurs du maire, fait peur par sa nouveauté. Celui de Nouvel par sa densité. Le report pourrait-il être le signe avant-coureur d'un enterrement de première classe ? Le succès de l'exposition, 40 000 visiteurs en six semaines, devrait empêcher une si piètre issue. Pour Bertrand Delanoë, l'impossible retour en arrière est aussi un ennui.

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