Libération (07/07/04)

 

Les vrais-faux projets des Halles


La Mairie de Paris tentée d'aménager à sa sauce les plans en compétition.
Par Sibylle VINCENDON

 

Est-il vraiment nécessaire d'aller voir l'exposition des projets pour le réaménagement des Halles ? Les 80 000 personnes qui l'ont déjà fait et les curieux qui comptaient le faire, peuvent se poser la question au vu du débat qui a eu lieu hier au Conseil de Paris. Lors de cette séance, Jean-Pierre Caffet, adjoint PS à l'urbanisme, a en effet recadré les choses de la manière suivante : «Il faut comprendre ce qu'est un marché de définition. Ce que nous choisissons n'est pas une image que nous pouvons voir sur une maquette au sous-sol du Forum des Halles. Ce que nous voulons faire, c'est choisir une démarche, un état d'esprit et des principes urbanistiques.»

 

«Socle». Qu'est-ce à dire ? Ce qu'on nous montre actuellement pourrait-il n'avoir aucun rapport avec la réalisation future ? Peut-être. Caffet, encore : «Si on gardait Rem Koolhaas, par exemple, ce ne serait pas pour avoir 21 derricks et le jardin tel qu'il l'a produit avec des ronds. Mais pour les principes de liaison surface sous-sol qui font l'ossature du projet.» Evidemment, les liaisons, ce n'est pas rien. Dans le cas d'espèce, c'est même le point le plus astucieux du projet, qui permet d'évacuer la salle d'échange de RER à l'air libre. Mais quand même : quand on lui dit que les projets ne seront pas réalisés en l'état, il se peut que le citoyen moyen comprenne qu'on changera des détails. Pas qu'il en manquera les trois quarts.

 

Après le débat d'hier, on se demandait si le risque politique principal pour Bertrand Delanoë ne résidait pas là : avoir fait «rêver» comme il dit, des dizaines de milliers de gens sur un exercice qui serait finalement très théorique. Un galop d'essai, en quelque sorte. Pour réaliser, in fine, la vraie commande, qui a été esquissée hier par Jean-Pierre Caffet. L'adjoint a recensé six points avec lesquels «nous avons là le socle qui nous permet d'avancer». En l'occurrence : la question de la densité, du jardin, des liaisons surface sous-sol, de la voirie souterraine, de l'innovation architecturale et d'un équipement public structurant, une maison de la métropole ou le grand auditorium qui manque à Paris, par exemple. «L'équipe (choisie) aura à réinventer à partir d'un parti pris de départ», a résumé Bertrand Delanoë. Mais réinventer jusqu'où ?

 

A défaut de le savoir, les élus qui se sont exprimés hier pour ce débat sans vote ont plus ou moins esquissé des préférences. Limpides, les communistes ont dit qu'ils préféraient Rem Koolhaas et qu'il faudrait donner à Jean Nouvel la commande du «grand équipement». Assez engagé lui aussi, Alain Le Garrec, élu PS du Ier arrondissement et président de la Sem, centre qui a organisé la consultation, a demandé qu'on ne se «contente pas seulement de conforter un centre commercial». Et rappelé, à mots à peine couverts, que l'exigence d'Espace Expansion, propriétaire du Forum, de faire passer les usagers du RER par ses boutiques, présentait un risque pour la sécurité en cas d'évacuation. Plus prudent, Patrick Bloche, président du groupe socialiste, a tempéré les enthousiasmes : «Méfions-nous de l'effet de mode. Un projet se détache sur des critères esthétiques, il est souvent cité mais je ne souhaiterais pas que nous nous précipitions.» Allusion à Koolhaas ?

 

«Redémarrer». Les Verts, quant à eux, ont demandé des changements radicaux... de programme. La base de réflexion qu'ils réclament est assez éloignée du cahier des charges de la compétition, avec un fort accent sur tous les aspects développement durable qui n'existent pas beaucoup dans la programmation actuelle. Mais surtout, certains demandent qu'on arrête tout. Le vert Jean-François Blet, après un prologue d'un goût contestable - «le trou des Halles est devenu le trou le plus célèbre après celui des Twin Towers (3 000 morts, ndlr)» -, a proclamé : «Il est très simple de déclarer l'appel d'offres infructueux et de redémarrer.» Plus surprenant, Yves Contassot, adjoint de Delanoë, a embrayé : «Je souhaite qu'on n'exclue aucune décision, y compris la déclaration sans suite.»

 

Se passera-t-il quelque chose aux Halles ? Peut-être mais pas vite. «Donnons-nous encore les semaines voire les mois qui nous permettent de mieux comprendre», a conclu le maire.