Libération (29/11/04)

 

Les projets de rénovation sont excitants. Mais le futur lauréat doit être libre d'élaborer une proposition qu'il faudra prendre à la lettre.
Les Halles: faites votre choix
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Par Bruno FORTIER

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lundi 29 novembre 2004
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o n aura bien du mal à regretter les Halles : le sol y est acrobatique, le jardin en piteux état. Le problème est qu'elles marchent et qu'elles forment au coeur de Paris l'un des rares pôles d'échanges greffé sur une réussite commerciale. On en vient alors au débat de ces deux derniers mois. Celui d'un maire sans doute un peu pensif (mettez-vous à sa place) et à qui l'on prétend interdire de mieux comprendre ce qu'il voit...

On veut bien écouter les grincheux. Mais, sauf à tout recommencer, il nous semble au contraire qu'il ne fait là que son devoir : obligé de biaiser avec des procédures bancales, d'en demander un peu sans en demander trop (c'est la règle de ces études : il faudrait continuer, on n'en a pas le droit). Si bien qu'on en est aujourd'hui en deçà du point de départ : dans un brouillard où l'on a cru comprendre qu'il n'y aurait plus de piscine (dans le projet Nouvel), quelques tours ­ trois ou quatre, si possible moins affriolantes ­ dans celui de Koolhaas et dans le parti de Mangin le même long toit horizontal, mais troué, évidé : archipels d'occasion insérés dans un écran plat.

Encore un ou deux mois, et l'on en viendrait vite à la reconstruction des anciens pavillons de Baltard. A moins de rester calme, de s'en tenir à ce qu'avait montré l'exposition et à des pistes évidemment menteuses (pas une, à l'exception de MVRVD, pour nous dire qu'un jardin, à cet endroit-là, est très difficilement tenable, qu'avec un million de personnes, la mousse et les fougères sont un véritable bobard). Accrocheuses, c'est la règle du genre (les immeubles seront «transparents», les toitures des zéphyrs, les tours autant de villes célestes égarées devant Saint-Eustache). Divagations d'artistes, mais plutôt claires en fin de compte, excitantes même, si l'on veut bien laisser le futur lauréat élaborer une proposition qu'il faut prendre à la lettre. Laisser mûrir sans trop de reculades (c'est ce qu'ont fait Beaubourg et la Grande Arche). Et dont on peut simplement affirmer, dans le cas de Jean Nouvel, qu'elle est un long survol ­ un mystère, à trente mètres du sol au-dessus d'un jardin aussi utopique que les autres mais visiblement agréable. Qu'elle joue, chez Rem Koolhaas, d'un fantastique urbain dont on redemanderait pourvu que ses tours restent en place ­ Giotto en plein Paris, Ucello au carreau des Halles. Et qu'elle prend, chez David Mangin, l'allure abstraite et sidérale d'un morceau de Guerre des étoiles : tissu de science-fiction (pas si loin que cela des anciens parapluies de Baltard), servant de parvis à Beaubourg et d'entrée à la capitale.

On pourrait refaire un concours. Mais on a là, me semble-t-il, l'occasion d'arrêter un vrai choix. Celui d'arriver dans Paris (par un grand portique chez Nouvel et chez Mangin sous un long dais horizontal). C'est dire qu'on peut aller au Louvre, s'échapper vers la République, que la ville est à tous, plus nettement qu'avec Paris-plage... Ou celui d'ajouter à la bibliothèque qu'elle forme un nouvel incunable : tentation narcissique, suspendue ­ cela va de soi ­ à la beauté du résultat.

Bruno Fortier architecte.