Libération (26/11/04)

 

Rebonds

Les Halles méritent mieux

Le projet de David Mangin, qui semble retenir l'attention, les couvre d'un
immense couvercle de 143 mètres de côté.

Un acronyme américain fait fureur de nos jours : les «nimbies» (nimby = not
in my backyard»), qualifiant ceux qui veulent bien que l'on construise,
qu'on rénove ou qu'on développe, à la seule condition que cela se fasse loin
de chez eux et qu'ils n'en soient pas les payeurs. Ils veulent circuler en
bus mais rejettent les couloirs en sites propres, ils veulent manifester
mais sous la fenêtre des autres, ils veulent des gymnases et des équipements
mais sans travaux ni nuisances, etc. Bref, le «nimby» est une variante
actualisée de l'égoïsme et du chacun pour soi.

Dans le projet de rénovation des Halles, en cours d'adoption par la Ville de
Paris, quelques «nimbies» se sont fait bruyamment entendre, soutenant que la
rénovation du site devait passer par le moins de travaux possible, défendant
bec et ongles des jardins dégradés ou inadaptés au motif qu'ils sont
fréquentés et, surtout, refusant que la vie du sous-sol (de l'une des
premières gares ferroviaires du monde) ne vienne se «répandre» dans les
espaces à l'air libre. Un projet leur convient donc tout à fait : celui de
David Mangin, qui installe un immense couvercle de 143 mètres de côté sur la
marmite des multitudes forcément vouées à l'enfermement. Veuillez cacher ces
foules que nous ne saurions ni voir ni entendre... Peu importe que ce toit
transforme les halles de Baltard, trente ans après, en hangars de Rungis :
pour nos «nimbies», l'esthétique ne compte pas, et ils l'affirment.
L'esthétique est, à leurs yeux, une affaire de privilégiés dont «le petit
peuple» n'aurait que faire. Seul compte leur quiétude, fondée sur la
«fonctionnalité» du site et sur la dichotomie des populations.

Au sein du collectif Parole des Halles, qui regroupe des associations ayant
toutes pris part à la concertation, nous souhaitons nous opposer à cette
vision et affirmer qu'on peut accepter de vivre à côté d'un chantier si
celui-ci contribue significativement à améliorer non seulement la vie des
habitants du quartier mais également le «plaisir» que tous les usagers du
site (800 000 par jour, quand même...) pourraient y trouver.

Nous allons même plus loin, en disant : «A quoi bon un chantier, à quoi bon
de longues nuisances, à quoi bon dépenser si c'est pour que la montagne
accouche d'une souris efflanquée ?»

Parole des Halles n'hésite pas à revendiquer des mots qu'une analyse
technocratique de la question des Halles évacue volontiers : beauté,
esthétique, poésie, changement, ambition et même désir. Nous voulons
démontrer que la concertation et la démocratie participative ne conduisent
pas systématiquement au «moins disant» ou à l'immobilisme du consensus le
plus mou. Nous sommes convaincus qu'il en va d'ailleurs de l'avenir de ces
formes nouvelles de vie citoyenne.

Ce qui ruine les projets, ce n'est pas leur coût initial, mais la réduction
de leur durée de vie.

Un projet médiocre (et nous en savons hélas! quelque chose) coûtera cher
parce qu'un jour, il faudra le démolir ! Et il ne s'agit pas «d'habiller»
temporairement une gare souterraine dont on aurait amélioré et développé
jusqu'à l'étouffement les fonctionnalités marchandes.

Nous sommes au temps du développement durable. Nous n'en sommes pas à
inventer le règne de la construction éphémère, ni à caresser les chimères
d'une architecture jetable.

Le centre de Paris n'est pour nous ni une chaise de cuisine, ni une machine
à laver.

Au moment où la Ville de Paris doit faire un choix historique pour se doter
d'un nouveau coeur, nous, riverains mais d'abord et avant tout Franciliens
et solidaires, appelons ses élus à ne pas se laisser enfermer dans le piège
du discours étroit des égoïsmes locaux, marchands ou catégoriels. Paris doit
aujourd'hui faire perdurer l'ambition qui, au fil des siècles, a fait d'elle
l'une des villes les plus belles et attrayantes du monde. Donnons avant tout
du «sens» à ce projet. Qu'il soit, et pour longtemps, une image de plus de
la capitale et, à l'entrée du troisième millénaire, le confluent pérenne et
en actes du développement «durable» et de la création artistique.

Au lieu d'enfermer le coeur de Paris sous un couvercle afin de ne plus
l'entendre battre, ouvrons Paris au monde.

Par Olivier Péray (association Paris des Halles), Olivier de Monicault
(association SOS Paris), Serge Ezdra (Association des parents d'élèves du
conservatoire du Centre) et Paule Champetier (association Curiositas).