Bertrand Delanoë remet en chantier le quartier des Halles (Le Monde, 25 février 2003)

Symbole de l'urbanisme des années 1970, le cœur de Paris cumule aujourd'hui les problèmes : insécurité, incohérence des plans de circulation, raréfaction des commerces de proximité... Le maire a décidé de lancer un projet global de réaménagement, pour lequel "rien ne sera interdit".

C'est à un véritable symbole de l'urbanisme des années 1970 qu'a décidé de s'attaquer Bertrand Delanoë. Le maire (PS) de la capitale avait inscrit dans les priorités de sa mandature la rénovation du quartier des Halles.

Après avoir reçu du Conseil de Paris, en décembre 2002, l'autorisation, votée à l'unanimité, de commencer les études nécessaires à l'opération, la municipalité va lancer, dans quelques jours, un appel d'offres auprès des architectes, des urbanistes et des paysagistes pour mettre au point un projet global de réaménagement du cœur de Paris.

M. Delanoë n'a passé qu'une consigne à ses services, en particulier à la société d'économie mixte de la ville (SEM Centre) chargée de piloter l'opération : il veut que le projet, qui sera présenté dans quelques mois, soit "ambitieux". "Rien ne sera interdit, confirme Alain Le Garrec, conseiller de Paris (PS) du 1er arrondissement et président de la SEM Centre. Ce quartier a été mal conçu, il a mal vieilli. Il faut en tirer les conséquences".

CHIRAC "L'ARCHITECTE"

Ainsi, l'idée de reprendre de fond en comble, vingt-cinq ans après son lancement, l'une des plus vastes opérations d'urbanisme jamais entreprises en France n'est plus un tabou. L'aménagement du quartier des Halles a été jusqu'à présent une affaire traitée au plus haut niveau de l'Etat, c'est-à-dire par les présidents de la République successifs. Au terme d'une bataille mémorable, c'est Georges Pompidou qui avait donné son feu vert à la destruction, entre 1969 et 1973, des pavillons Baltard, point final au transfert du marché des produits frais vers Rungis. Valéry Giscard d'Estaing avait ensuite laissé béant le fameux "trou" des Halles, ne sachant trop que faire de cet "héritage", pendant que la RATP construisait à ciel ouvert son gigantesque pôle d'échanges ferroviaire entre les lignes de RER et de métro, inauguré en 1977. Enfin, c'est Jacques Chirac, tout juste élu maire de Paris cette même année, qui s'empare du projet, et se proclame "architecte des Halles". Il présente la version définitive de l'aménagement en 1980.

Le Forum, avec son centre commercial de 67 000 m2 - le plus grand de Paris -, est achevé en 1985. Les jardins, au pied de l'église Saint-Eustache, sont ouverts au public un an plus tard.

Pendant plus de quinze ans, personne, et en particulier Jean Tiberi, successeur du président de la République à l'Hôtel de Ville, n'a osé dresser le bilan de cet aménagement. Début 2000, la municipalité parisienne a seulement tenté, en vain, de vendre les murs et les rues du centre commercial à son gestionnaire privé. Car le Forum des Halles, construit sur quatre niveaux souterrains, est devenu un véritable concentré des problèmes urbains qui se posent aujourd'hui : sécurité, circulation automobile, cheminements piétonniers, accès aux équipements publics et aux commerces de proximité. Avec 800 000 voyageurs quotidiens, dont 500 000 en correspondance, le pôle d'échanges de la RATP est un monstre tentaculaire de couloirs, dont les usagers retrouvent difficilement les issues. Le centre commercial, avec 40 millions de visiteurs par an, est desservi par un ensemble de rues couvertes, où se croisent clients et badauds, venus de Paris, mais surtout de toute la banlieue, et ce contrairement aux prévisions initiales. Ses encorbellements de verre et de métal, aux matériaux qui vieillissent mal, sont extrêmement coûteux à entretenir pour Unibail, gestionnaire des lieux à travers sa filiale Espace Expansion.

ESPACES INSALUBRES

Le gigantesque réseau routier souterrain est peu et mal utilisé. Des espaces entiers sont inoccupés entre les différents niveaux. Les équipements publics sont parfois à l'écart, comme le Conservatoire ou le Pavillon des arts. Les terrasses des "parapluies" de Jean Willerval sont peu fréquentées et difficiles à entretenir. La piscine, le gymnase, le Forum des images ou la médiathèque, la plus grande de Paris, mériteraient de meilleurs accès. Les 7 000 habitants du 1er arrondissement manquent d'un marché alimentaire et de commerces de proximité, alors que pullulent les boutiques de vêtements.

Avec ses tubulures vertes néo-modernistes, imitation du style Guimard des anciennes bouches de métro, le jardin de 4 hectares, planté sur un invraisemblable entrelacs de passages et de niveaux, autour des nombreuses installations techniques de la dalle, n'a jamais rempli son rôle de poumon vert du centre de Paris. Morcelé, traversé par des voies de circulation sans cohérence avec les rues avoisinantes et parsemé d'espaces insalubres, il pose de sérieux problèmes d'insécurité. Au point que de nombreux accès au Forum souterrain ont dû être condamnés.

Reprenant les études des services techniques de la Ville menées au cours des dernières années, la Mairie de Paris, tout en consultant la population du quartier, a mis en place un groupe de travail avec la RATP et avec Espace Expansion. Pour le transporteur parisien, c'est une bonne occasion de remédier aux difficultés d'orientation dans sa gare souterraine. "Nous sommes prêts à nous engager dans une refonte complète des accès et des cheminements, rappelle Lorenzo Sancho de Coulhac, directeur de l'agence de développement de la RATP. Mais il ne faut pas nier le succès commercial des Halles, et le rôle essentiel que le pôle des transports y a joué". Et pour Marguerite des Cars, vice-présidente d'Espace Expansion, "le Forum, qui reste le meilleur site commercial de la capitale, avec, par exemple, la plus importante Fnac de France, mérite surtout une meilleure insertion dans le quartier".

MAINTENIR LA MIXITÉ SOCIALE

Le chantier, qui va être lancé dans les prochains mois, ne concerne en effet pas uniquement les constructions des années 1970. Il s'étend au quadrilatère délimité par les rues de Rivoli, du Louvre et Etienne-Marcel et par le boulevard de Sébastopol. Ce quartier, l'un des plus anciens de Paris, mêle habitats et populations d'âges et d'origines diverses. Les boutiques de luxe voisinent avec quelques commerces alimentaires de produits régionaux.

Le défi pour la Mairie de Paris va être désormais de réussir à maintenir cette diversité et cette mixité sociale, tout en valorisant un quartier qui a connu un "âge d'or" avant d'être victime de son gigantisme.

Christophe de Chenay

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