Le Monde (15/12/04)

 

ANALYSE
Une ambition nationale pour les Halles
LE MONDE | 14.12.04 | 16h43

La commission d'appel d'offres de la Ville de Paris doit choisir, mercredi 15 décembre, entre les quatre projets pour le réaménagement des Halles. C'est pour le maire (PS) de Paris, Bertrand Delanoë, la décision la plus importante de sa mandature : déterminer le profil futur du centre historique, économique et culturel de la capitale, vaste espace occupé jadis par les Halles de Paris, qui, via la gare RER où transitent chaque jour 800 000 passagers, fait le lien entre le cœur de la ville et sa banlieue.

On le sait, quatre projets s'affrontent. Le Néerlandais Rem Koolhaas propose un jardin découpé en cercles thématiques et peuplé de tours colorées abritant des équipements publics ou des bureaux. Ces tours, souvent décriées par ses opposants, font aussi le lien avec les niveaux en sous-sol, largement remaniés. Son compatriote Winy Maas prévoit en surface d'alterner les zones de jardin avec un immense vitrail posé à cinq mètres du sol. Jugé irréalisable, ce projet semble de fait déjà écarté.

Le Français Jean Nouvel donne plus de place aux jardins en créant un espace vert perché à 27 mètres de haut au-dessus du carreau des Halles ; il borde le jardin actuel de constructions nouvelles, dont la densité lui a valu les foudres des Verts et des riverains. David Mangin enfin, qui fait figure de favori, recouvre le Forum d'un toit ajouré de 2 hectares à 9 mètres du sol et organise un jardin de 4 hectares autour d'une large avenue rejoignant la Bourse du commerce.

La dimension réelle du quartier des Halles a pu être mesurée à son échelle véritable à l'occasion des études engagées à la fois par les concurrents, par les équipes techniques de la Mairie, notamment la SEM Paris-Centre, et par de nombreuses associations. Les Halles font le lien entre tous les quartiers du centre de Paris et les voies automobiles souterraines qui les traversent permettent de décongestionner le trafic en surface. Le projet en cours pourrait faire disparaître ces échappatoires alors que les embouteillages sont accrus par les choix de la municipalité en défaveur de l'automobile - un gage donné aux Verts.

Or M. Delanoë se retrouve aujourd'hui en porte-à-faux avec les mêmes Verts. Ceux-ci n'ont pas fait mystère de leur préférence pour le projet Mangin, en apparence le plus proche de leurs préoccupations territoriales. La société propriétaire du centre commercial, Unibail, a elle aussi exigé l'adoption du projet Mangin, menaçant dans le cas contraire de faire "la guerre" à la municipalité.

Le choix du lauréat risque donc d'être dicté par des considérations électorales, alors que le maire a pour mission d'arbitrer en faveur d'un projet d'envergure nationale, à la mesure réelle du quartier et d'une métropole candidate aux Jeux olympiques de 2012.

Les erreurs de communication et d'organisation n'ont pas manqué, qui ont fait passer ce marché d'études de définition, souple et révisable, pour un projet architectural ferme et définitif. Les enjeux du concours et l'écho qu'il a finalement rencontré (125 000 visiteurs à l'exposition des projets, dont 10 000 ont donné leur avis) ont été sous-estimés. Les partisans de la solution Mangin peuvent donc croire qu'il s'agit d'un projet bien ficelé et finalisable sans grand problème dans la forme paisible qui leur est présentée.

Or il s'agit bien, pour lui comme pour les autres, d'une simple étude, appelée à évoluer sur quelque dix années et qui, selon l'organisation des différentes phases du chantier (le phasage), peut conduire, une fois le premier coup parti, à de fâcheuses déconvenues.

Si la même mise en garde peut valoir pour les projets de Nouvel et Koolhaas, ces deux propositions ont un mérite commun : l'ambition. Une ambition qui s'inscrit dans une lignée de choix audacieux pour Paris, de Louis XIV à Eugène Claudius Petit en passant par Haussmann. Car c'est bien à cette aune qu'il faut mesurer le projet des Halles.


URBANISME DE RÉCONCILIATION


Jacques Chirac, en son temps, a exercé sa responsabilité de maire de Paris dans le sens d'une perpétuation de l'échelle haussmannienne, sans grande sensibilité architecturale, jusqu'à ce que la présidence lui donne l'occasion de lancer le Musée des arts premiers (confié à Jean Nouvel).

Voici venu le temps de Bertrand Delanoë et de l'épreuve de vérité. Au-delà des pressions de tous bords, il a tous les éléments pour mesurer le caractère faussement anodin du projet Mangin, dont le phasage sera difficile et la formalisation complexe.

Le phasage ne sera pas plus aisé avec le projet de Nouvel qu'avec celui de Mangin. Mais l'équipe du plus célèbre des architectes français a vraiment pris la mesure métropolitaine du quartier, elle a compris ses enjeux, son inscription dans l'histoire du paysage parisien. L'ambition, qui lui est reprochée, ne peut être réduite à des discussions de marchands de tapis mal lunés. Comme celui de Mangin, c'est un projet qui évoluera nécessairement dans le temps. Mais tous les ingrédients sont là pour éviter l'impasse, si l'on accepte l'idée qu'il modulera sa proposition en fonction des moyens de la ville et des investisseurs.

Reste Rem Koolhaas, alter ego hollandais de Nouvel. Son projet, tout aussi ambitieux, est cependant très différent. Les liens du quartier avec les différents niveaux de sous-sol sont remarquablement étudiés et leurs problèmes résolus sans emphase mais sans complexe.

Koolhaas abandonne l'idée de nappes souterraines et supérieures qui seraient réunies par des procédés classiques de cosmétique urbaine. A la place des nappes, il suggère un urbanisme de réconciliation entre le sous-sol et les jardins. En étudiant et en fractionnant les fonctions, il évite l'écueil d'un phasage difficile du chantier.

Quant à lui reprocher le formalisme coloré de ses édifices, qu'on y voie de petites tours, des derricks, des flacons, des cheminées ou des enseignes, c'est une fois encore confondre étude de définition et projet d'architecture. Les mètres carrés de verdure sont là, il ne faut pas se focaliser sur les couleurs de convention des maquettes.

Choisir les grandes ambitions de Nouvel, l'intelligence et l'imaginaire de Koolhaas, ou revenir au pré carré des habitudes parisiennes et aux jacqueries locales ? Tel est l'enjeu pour Bertrand Delanoë à l'heure de décider l'avenir du cœur de Paris.

Frédéric Edelmann
 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 15.12.04