Le Monde (17/11/04)

 

ANALYSE
Quartier des Halles : inventaire avant travaux
LE MONDE | 17.11.04
D'ici quelques jours, Bertrand Delanoë doit rendre public le choix de la
Mairie de Paris pour le réaménagement du quartier des Halles, décision
cruciale pour sa mandature. Après plusieurs mois de concertation et
d'études, la SEM Paris-Centre a remis le 2 novembre son rapport de synthèse
au comité de pilotage du projet, qui, outre la Ville, comprend la société
Espace expansion, propriétaire du centre commercial du Forum, la RATP et des
partenaires institutionnels comme la région Ile-de-France, l'Etat ou le
Syndicat des transports d'Ile-de-France (STIF).

Après le succès inattendu (125 000 visiteurs) de l'exposition organisée dans
les entrailles de ce qui fut le "ventre de Paris", l'attente et les
polémiques semblaient s'être essoufflées. En réalité, la lutte n'a jamais
été aussi âpre que ces dernières semaines entre les quatre équipes
concurrentes - Rem Koolhaas, Winny Maas, David Mangin, Jean Nouvel, pour
s'en tenir à leurs chefs de file -, à qui il était demandé de peaufiner leur
copie en tenant compte des observations parfois contradictoires des élus et
des associations. Le quartier des Halles est dans la capitale l'un des très
rares espaces qui dépendent principalement de la municipalité, quand tous
les autres jardins et places sont sous la garde et à la charge de l'Etat.

C'est aussi le seul site d'une telle importance sociale et économique sur
lequel Bertrand Delanoë puisse laisser sa marque. L'ambition rejoint ici la
simple nécessité.

La destruction des Halles de Baltard avait été un crève-cœur. Leur
progressive transformation en patchwork architectural a fait du quartier un
point de crispation pour les Parisiens et pour tous ceux, banlieusards ou
touristes, qui sont amenés à y passer (41 millions de visiteurs et acheteurs
par an pour le seul Forum). Cette mésestime s'est trouvée amplifiée le temps
passant : les accès au Forum et au métro, mal répartis, mal signalés,
sous-dimensionnés, ont contribué à isoler les "jardins" (1,5 hectare
réellement accessible, sur 4,3 hectares d'espaces verts apparents) des zones
souterraines, paradoxalement mieux loties.

Il devient urgent par ailleurs de s'attaquer aux problèmes d'étanchéité,
proportionnels à la mauvaise qualité des constructions, et de repenser les
équipements publics, les fameux "parapluies" construits pour abriter des
serres tropicales mais occupés, notamment, par le conservatoire et par le
Pavillon des arts. Si la médiocrité de l'architecture n'empêche pas les
espaces commerciaux d'être parmi les plus rentables de France, la mauvaise
qualité des constructions n'est pas sans conséquences financières pour la
Ville.

Face à cela, Bertrand Delanoë a donc réagi à temps en organisant un appel
d'offres international, dans le cadre de marchés d'études de définition,
procédure peu contraignante qui laisse toute liberté à la Mairie de
retravailler le projet avec l'équipe choisie. La Ville a retenu quatre
équipes pluridisciplinaires. Ce choix trop limité a conduit à autant de
projets marqués à doses variables par les effets de mode, de raison,
d'ambition, de doctrine.

LOBBYING

On est cependant loin du désastre. Ces projet sont porteurs de solutions
autant que de réflexions. Toutefois, organisé indépendamment du travail sur
le plan local d'urbanisme (PLU), le concours et ses quatre concurrents
officiels ont été présentés tout faits tout cuits à la plupart des
Parisiens. Si, en amont, les architectes et les urbanistes ont été nombreux
à être avertis et à se porter candidats pour participer au concours, ce
n'est qu'en aval, et alors que la difficulté du choix d'un lauréat devenait
patente, que la concertation avec habitants et associations s'est organisée,
selon des modalités elles-mêmes peu prévisibles.

Suscitée en amont, une telle concertation aurait peut-être fait émerger
d'autres questions : était-il vraiment impossible d'imaginer un
rééquilibrage des flux (800 000 personnes par jour traversent les espaces
métro et RER de Châtelet-Les Halles) au profit de nouveaux pôles de
transport, de commerces, de culture ou de sports sur d'autres pôles du Grand
Paris ? Impossible, soutient la SEM Paris-Centre, non sans offrir des
arguments, comme le faisait la Semapa, chargée de Seine Rive Gauche, qui
estimait impossible tout autre choix qu'une avenue sur dalle pour repenser
le lien d'Austerlitz à Ivry. Autre forme de lobbying, celui organisé par les
quatre concurrents, ou les personnalités, associations et institutions qui
ont choisi, de façon désintéressée ou non, de soutenir tel ou tel. La Mairie
et sa direction de l'urbanisme ont eu le flair d'encourager les quatre
équipes à s'exprimer publiquement et librement, leur permettant de lever
parfois les doutes liés à la présentation de leurs maquettes, de montrer sur
quels points formels ils se voulaient architectes, sur quels autres, plus
politiques ou stratégiques, ils entendaient se montrer urbanistes. A ce jeu,
il semble que le projet de Winny Maas, une immense plate-forme surélevée,
ait laissé quelques plumes. Trop difficile à mettre en œuvre, son projet
paraît d'ores et déjà écarté.

Les pressions contradictoires des groupes politiques et des associations ont
enfin abouti à caricaturer les trois autres projets. Celui de l'équipe
Nouvel, riche d'inventions multiples et plutôt conciliant tant avec les
amateurs de prairie qu'avec les partisans d'une architecture audacieuse,
s'est vu vivement critiqué au motif qu'il serait trop dense (les Verts) et
que l'architecte refuserait de modérer les ambitions de son premier dessin,
en particulier la piscine et le jardin sur le toit.

Pour l'avoir rencontré autour de sa dernière maquette de travail, il
apparaît qu'il s'agit d'un mauvais procès, Nouvel étant d'autant plus ouvert
au dialogue qu'il connaît parfaitement les règles des marchés de définition.
Pourtant, son projet paraît près de passer à la trappe avec celui de Maas.

Resteraient alors les projets Koolhaas et Mangin. Le premier a pu facilement
montrer sa souplesse (un vaste espace libre, marqué d'un nombre variable de
petites tours ou "balises" susceptibles de lier, et donc de rendre lisibles,
le sous-sol et le niveau de surface) et sa facilité de mise en œuvre. Mais
sa radicalité architecturale (préolympique, soutiennent ses partisans) et
son caractère très public effarouchent grandement les partisans du tout
gazon et du chacun chez soi. Koolhaas fait donc l'affaire des partisans de
Mangin, sage et vert d'apparence. Ils ne s'affolent curieusement pas devant
la perspective d'un gigantesque toit plat (quatre fois la place des
Innocents, l'équivalent de la place des Vosges) posé comme un couvercle à
neuf mètres de haut, au-dessus du futur Forum. Il est vrai que, vu du ciel,
dit la maquette, la couleur de l'édifice devrait flirter avec le vert.

Frédéric Edelmann