Le Monde (13/11/04)

 

POINT DE VUE
Sortir du piège, par Lucile Grésillon et Fabrice Piault
LE MONDE

Il n'est pas trop tard pour créer aux Halles, comme à Paris Rive gauche, un
comité permanent de concertation qui réunisse tous les partenaires, dont les
associations et les conseils de quartier.

Ambitions non assumées, objectifs imprécis, concertation mal pensée et mal
maîtrisée... La manière dont s'est engagé le débat sur la refonte du
quartier parisien des Halles est un véritable crève-cœur.

Aux Halles, on voit un maire dans l'impasse d'une consultation qu'il a voulu
ambitieuse mais qui se trouve paralysée faute d'avoir mis en place les
outils d'une concertation approfondie. On voit des associations locales
contraintes de prendre fait et cause pour le projet le moins novateur au
seul motif qu'il présenterait moins de "risques" que les projets
concurrents. La sélection par la Ville, en décembre, de telle ou telle
équipe d'architectes ne suffira pas à trancher une controverse dont
l'innovation urbaine et la concertation citoyenne sont pour l'instant les
grandes victimes.

La perspective d'un réaménagement des Halles est née du constat des
dysfonctionnements techniques d'un secteur marqué par la présence en
sous-sol de l'immense plate-forme d'échanges de la RATP. Mais elle constitue
une formidable occasion de repenser ce pôle d'attraction central de la
capitale, maltraité par ses concepteurs au début des années 1970. Ce
quartier de 7 000 habitants et 16 000 salariés constitue, avant les portes
du pourtour parisien, le principal point d'accès à Paris, fût-ce par les
profondeurs. C'est dire l'enjeu d'une réflexion qui doit privilégier
l'invention d'une nouvelle relation entre la Ville Lumière et son double
souterrain, repenser les axes verticaux et horizontaux de ce carrefour
majeur dans un nouveau syncrétisme fonctionnel et esthétique, comme l'a
notamment bien compris Rem Koolhas.

Loin d'enrichir le débat, le dialogue de sourds qui tient lieu de
concertation entre la Ville et les associations locales menace l'ensemble du
processus. Il déçoit particulièrement tous ceux qui, comme nous, bénéficient
de l'expérience de la ZAC Paris Rive gauche. Le piège dans lequel la Ville
s'est enfermée aux Halles montre en effet qu'elle n'a tiré aucune leçon des
mésaventures qu'a connues pendant quinze ans le plus vaste chantier dans la
capitale.

Dans une curieuse schizophrénie, elle se révèle incapable de réinvestir dans
d'autres grandes opérations d'aménagement les acquis du processus de
concertation qui y a été développé. Si elle avait fait l'effort de ce bilan,
elle aurait réalisé avant même de lancer la consultation des Halles qu'un
projet de cette ampleur ne pouvait se déployer valablement sans que soient
établies les bases d'une concertation ambitieuse.

Il n'est pourtant pas trop tard pour créer aux Halles, comme à Paris Rive
gauche, un comité permanent de concertation qui réunisse tous les
partenaires de l'aménagement, dont les associations et les conseils de
quartier. Il suffit de s'appuyer sur la charte de la concertation élaborée
en 1996 par le ministère de l'environnement. La force de ce document
visionnaire ne tient pas seulement dans l'affirmation de la nécessité de la
concertation comme "enrichissement de la démocratie représentative" sur
"tous les projets qui touchent à l'urbanisme". Elle repose sur un ensemble
de préconisations qui permettent d'organiser et surtout de stimuler la
participation citoyenne afin "d'améliorer les projets ou de faire émerger de
nouvelles propositions". Celles-ci sont plus que jamais d'actualité pour les
Halles.

La participation citoyenne et le dialogue avec les associations ont été, en
2001, l'un des enjeux de la campagne de Bertrand Delanoë. Le maire de Paris
a ensuite installé des structures participatives dans les quartiers. Comment
comprendre qu'un aménagement de l'importance de celui des Halles ne soit pas
nourri par une forte implication des habitants ? Les Parisiens ne peuvent
pas se contenter d'assister à la double défaite de la pensée urbaine et de
la démocratie locale.

Lucile Grésillon et Fabrice Piault sont respectivement membre et président
du Bureau de l'association TAM-TAM (Paris-13e).