Le Figaro (22/11/04)

PARIS Le choix d'un projet pour le réaménagement du site se fera à la mi-décembre. Celui de Rem Koolhaas a ses chances

Fébriles pronostics autour des Halles


Marie-Douce Albert
[22 novembre 2004]
La rumeur laisse entendre que désormais deux projets seulement sont encore dans la course, les émergences translucides de OMA, l'agence néerlandaise de Rem Koolhaas (ci-dessus), et le vaste toit carré de Seura-David Mangin. 
(Photo DR) 

C'est comme si le plus fol espoir des nostalgiques des Halles de Paris prenait soudain corps. Au pied de Saint-Eustache, les élégants pavillons de Baltard ont recouvré leur prestance et retrouvé leurs monceaux de carottes en bottes. Une image prompte à fasciner, y compris ceux qui, nés bien trop tard, n'ont jamais connu ces bâtiments, mais une image de cinéma. Aussi léchée que fugace, elle est offerte par Jean-Pierre Jeunet dans son Long dimanche de fiançailles. Dans le monde «réel», pas question de revenir à ces temps vieux et bons. Au contraire, la troisième génération des Halles est en gestation depuis que l'on a posé sur la table quatre projets de réaménagement en avril dernier.


On suggère parfois ici et là qu'un tel chantier n'est pas franchement une priorité, mais faut-il que le quartier neuf de trente ans soit désormais si laid et inconfortable pour que 125 000 personnes soient allées, en cinq mois, juger sur maquettes quel pourrait être son avenir et que 92% des visiteurs ayant, volontairement, exprimé leur opinion aient adhéré à l'idée de son réaménagement. Ceux-là au moins doivent attendre le résultat de cette mise en compétition à l'heure où les quatre candidats semblent engagés dans la dernière ligne droite.


Aujourd'hui d'aucuns se demandent si ce choix n'est pas déjà fait. «La décision est imminente», assure-t-on parfois. «Le maire n'avait encore vraiment pas décidé hier», jurait-on ailleurs, jeudi dernier. Les projets seront officiellement départagés à la mi-décembre par la commission d'appel d'offres de la ville de Paris dans le cadre d'une procédure de marché de définition. Il ne s'agit donc pas d'un concours d'architecture et plus qu'un plan précis, c'est une philosophie d'aménagement qui sera retenue pour être ensuite sans doute largement retravaillée.


Pour l'heure, une légère fébrilité est dans l'air, en particulier chez ceux qui ont choisi leur camp. Le temps est aux tentatives de lobbying et aux bruits galopants. C'est cette rumeur de la ville qui laisse entendre que désormais deux projets seulement sont encore dans la course, les émergences translucides de OMA, l'agence néerlandaise de Rem Koolhaas, et le vaste toit carré de Seura-David Mangin.

Le grand podium coloré imaginé par l'équipe MVRDV et l'architecte Winy Maas serait, en effet, trop difficile et onéreuse à mettre en oeuvre. Le deuxième perdant annoncé serait donc Jean Nouvel. L'architecte français, qui avait pourtant la stature d'un favori, a été souvent critiqué pour le côté massif de sa proposition. Aujourd'hui, son projet séducteur avec ses jardins suspendus pâtirait de problèmes de gestion des flux.


Mais dans ce championnat du pronostics, qui ferait sans doute les joies de bookmakers anglais, d'autres hypothèses ont depuis le début été évoquées. L'association SOS Paris donnaient, dans un bulletin récent, les Hollandais perdants, d'autres ont toujours cru que les idées intéressantes étaient à chercher du côté de Nouvel et de Koolhaas. Un collectif d'associations pro-Mangin hurlait récemment à la partialité de documents qui doivent être remis à la commission d'appel d'offres au motif qu'ils seraient pro-Koolhaas. Quant à la RATP, impliquée dans ce dossier puisqu'il s'agit tout de même de donner une nouvelle porte d'entrée à la gare souterraine, elle reconnaît des qualités au tiercé – dans le désordre – Nouvel, Koolhaas, Mangin. Une seule proposition fait l'unanimité, mais contre elle. Personne ne croit en Winy Maas, peut-être pas même lui. Ainsi, cette équipe a été assez peu pugnace pour défendre son vitrail. Quant aux trois autres projets, lequel est suffisamment grand, fort ou intelligent pour sortir du lot ?


Les supporters de l'option OMA ont, bien sûr, leur opinion sur la question. Aiguillonnés par l'hypothèse d'une finale Koolhaas-Mangin, ils y voient un match entre «la prudence et l'ambition», entre un projet sans doute honnête mais triste et sans imagination et une idée «puissante» et «mature». Ils opposent surtout le Français et le Hollandais sur leur rapport au sous-sol. Alors que les totems en verre de Koolhaas sont présentés comme autant de points de passage entre le dessus et le dessous, ils soupçonnent que le toit de Mangin pourrait devenir un véritable couvercle sur le Forum des Halles et cette gare souterraine qui fait pourtant figure de porte de toute l'Ile-de-France.


Alors que la mairie de Paris a beaucoup invoqué les questions de sécurité pour justifier le réaménagement du site, Rem Koolhaas passe également pour avoir fait le projet le plus performant en la matière, surtout grâce à une faille qui, si elle se faisait, permettrait un accès direct de la salle d'échange de la RATP à l'air libre. Mais cette même faille fait bondir ses adversaires parce qu'elle coupe le jardin en deux. Ceux-là, notamment réunis en associations de riverains, ont choisi Mangin justement parce qu'il propose un jardin d'un seul tenant, mais aussi parce qu'en séparant apparemment dessus et dessous, il opère une séparation des activités censée assurer la tranquillité de l'espace vert.


Mais enfin, quand beaucoup insistent pour dire que les Halles sont un problème d'urbanisme avant d'être une question d'architecture, doit-on pour autant négliger l'image ? «Ce serait dommage de ne pas faire là quelque chose que l'on regarderait d'ailleurs avec envie», estime ainsi l'architecte Christian de Portzamparc, bien plus séduit par les tourelles de Koolhaas que par le carré de Mangin dont il trouve qu'il n'arrangera pas les choses. «Changer les Halles, c'est une très belle et grande décision politique, c'est prouver qu'on peut agir, réparer quelques catastrophes de nos villes ; le pire serait évidemment de choisir un mauvais projet. Aux Halles, on a besoin d'un projet qui fera penser à un futur, qui fera rêver, d'éléments un peu magnétiques, captivants. Rem Koolhaas propose quelque chose de fort et de festif, des signaux qui peuvent avoir des usages assez ludiques.»

Paris, pour être encore fier de ses Halles, peut-il se satisfaire de quelques minutes de reconstitution sépia des pavillons Baltard ?

Mardi, à 17 h 30, conférence de Rem Koolhaas à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), 105, bd Raspail à Paris (VIe) pour présenter ses «Projets métropolitains : Chicago, Berlin, Seattle, Porto, La Haye, Paris». La présentation sera suivie d'un débat. Entrée libre dans la limite des places disponibles.