L’humanité (15/12/04)

 

Société
« Le tapis vert, on le pleurera », Claude Parent

Entretien avec l’architecte Claude Parent, fondateur, avec André Bloc, du groupe Architecture principe.

Quel regard portez-vous sur le processus de réaménagement des Halles ?

Claude Parent. J’aurais souhaité que l’on prenne le temps et que la consultation du public, dont on se gargarise tant, soit mieux orchestrée avec les trois échelles concernées : local, national, international. Il n’y a aucune raison valable pour que l’on consulte davantage les riverains que les autres. Les Halles, c’est un événement parisien, français et mondial. Une erreur a déjà été commise. Ne recommençons pas en disant « on a consulté » parce ce qu’on a demandé ce qu’en pensaient les gars du coin. Une consultation est une chose grave dans laquelle il faut maintenir un équilibre. Concernant la décision, je comprends que, théoriquement, les élus parisiens soient légitimés à décider du lauréat par le simple fait qu’ils sont issus du suffrage universel. Cependant, j’aurais souhaité que la décision dépasse le cadre de l’élu, qu’il y ait des sages, des experts, d’autres personnes accompagnant tout le processus. Il y a toujours le risque, même minime, que cela tourne au débat politique, voire électoraliste. Je souhaiterais que l’on se prémunisse de cela.

Parmi les quatre propositions, quelle est celle qui a votre faveur et pourquoi ?

Claude Parent. Je n’ai pas eu accès aux documents techniques. Mes analyses sont fondées sur des ouvrages parus et des articles de presse. Depuis que l’on parle des Halles, et cela fait déjà un certain temps, j’ai toujours pensé qu’il était rédhibitoire de proposer un « tapis vert ». Ça a l’air de dire : « Que la population va être bien ; qu’ils vont se régaler en jouant sur les prairies ; qu’ils vont déjeuner assis dans l’herbe, etc. » Or on sait que cela n’est pas vrai et ce n’est vraiment pas l’avenir du centre de Paris. Ce choix ne tient compte ni de la localisation, au coeur de la capitale, ni du poids historique de cette localisation. Les trois projets qui ont choisi cette mauvaise référence, qu’ils soient faibles, comme le projet de Mangin ou de Maas, ou bons, comme celui de Nouvel, ne pouvaient pas de ce fait avoir mon agrément. Pour ce dernier, je le regrette d’autant plus que son projet a des qualités et de très bonnes idées. Mais si on commence par lui demander d’enlever la piscine ou ceci ou cela, on se retrouvera avec le tapis vert et on pleurera.

Vous penchez donc pour le projet de Koolhaas ?

Claude Parent. C’est le seul différent. Le seul à faire table rase et à renoncer à ce tapis vert à la française, vieux souvenir du tracé classique des Le Nôtre et Cie. À partir de là, il n’y a que des avantages à se replier sur ce projet. Il refuse les espaces hiérarchisés, offre une grande disponibilité de parcours autour de ces quilles (les « émergences » - NDLR) et génère ruptures de ligne droite et perspectives nouvelles. Sa descente au RER depuis le jardin est très réussie. Les gens circuleront là comme dans une immense forêt agrandie, dans laquelle les troncs d’arbres seraient devenus énormes. La proposition de Rem Koolhaas crée des situations sympathiques et très vivantes, qui sont autant de qualités d’usage pour la population. Que les commerçants se plaignent que ce projet leur détournera une partie de la clientèle ne m’importe que peu ! C’est leur boulot d’attirer les gens. Le projet des Halles ne doit pas être dessiné de façon à leur apporter un flot de clientèle. Il ne faut pas renverser les rôles.

Entretien réalisé par C.P.