L’Humanité (04/12/04)


Rubrique Ile de France
Article paru dans l'édition du 4 décembre 2004

Les Halles : un choix stratégique

Urbanisme. Le 15 décembre, le lauréat du marché de définition de réaménagement du quartier devrait être connu.


Une chose est sûre. Quel que soit le lauréat, il ne fera pas l’unanimité. À quelques jours d’un choix stratégique, aucune des quatre propositions signées par Jean Nouvel (AJN), Rem Koolhaas (OMA), David Mangin (SEURA) ou Winy Maas (MVRDV) n’a réussi à s’imposer. Chaque équipe garde partisans et détracteurs et, si l’on en croit la Mairie de Paris, « le choix reste très ouvert ». Le rapport confidentiel remis le 2 novembre dernier au comité de pilotage, en vue d’éclairer le vote de la commission d’appel d’offre (CAO) et auquel l’Humanité a eu accès, ne donne, il est vrai, aucune véritable indication sur l’issue du concours. « C’est juste un instrument de travail », précise Serge Federbusch, directeur général de la SEM-Paris-Centre, qui conduit le projet pour la Ville.

la ville joue la Transparence

Nous sommes désormais loin de l’ère du maire omnipotent, quand, en 1979, Jacques Chirac n’hésitait pas à déclarer : « L’architecte des Halles, c’est moi ! » Souhaitant boucler le dossier avant les municipales de 1983, il n’avait pas souhaité s’engager « dans un processus qui rendrait impossible le respect de cette échéance ». Si aujourd’hui le calendrier électoral demeure un élément déterminant dans le choix du lauréat, on ne peut nier les efforts déployés par la Ville pour jouer la transparence et inviter la population parisienne à débattre (réunions publiques, expositions, conférences). « Nous n’avons jamais cherché à étouffer le débat démocratique », assure la Ville. Les associations de riverains ont d’ailleurs largement utilisé cette opportunité et participé à l’élaboration du programme.

Pour autant, on peut s’interroger sur les limites de la concertation mise en oeuvre. Car le réaménagement des Halles dépasse largement le cadre de la capitale et intéresse au premier chef ces 800 000 Franciliens qui déboulent quotidiennement dans les couloirs du pôle d’échange RATP. Le sociologue Marc Augé a justement défini le lieu (1) comme étant « le seul carrefour parisien où les jeunes des banlieues les plus éloignées aient une chance effective de croiser les habitants de plus en plus bourgeois d’un quartier en transformation accélérée, les esprits curieux qui fréquentent le centre Pompidou voisin ou quelques galeries de peintures [...], les touristes épris de pittoresque ou de modernité urbaine, d’autres encore que poussent en ces lieux le hasard, leur profession ou l’envie de consommer ».

La région peu présente

Il est regrettable de cons- tater que les Franciliens usagers du site n’ont pratiquement pas été consultés, hormis quelques associations. Était-il si difficile d’organiser une consultation auprès des usagers de l’infrastructure sur leurs attentes, quand on sait que la SNCF le fait deux fois par an, sur les quais des gares RER, afin de connaître le niveau de satisfaction de ses clients ? Sur ce point, la région, qui devrait financer une part du projet, a sa part de responsabilité tant elle a fait preuve d’une discrétion exem- plaire et s’est toujours gardée d’intervenir dans le débat, allant même jusqu’à déserter des réunions publiques. « Sont-ce les mauvais rapports entre Jean-Paul Huchon (président de la région Île-de-France - NDLR) et Bertrand Delanoë (maire de Paris, NDLR) qui l’ont con- duit à ne pas participer au processus ? » s’interroge Jean Vuil-lermoz, président du groupe communiste au Conseil de Paris. Plus simplement, explique l’entourage de Jean-Paul Huchon, « la région n’est pas l’acteur premier du projet et ne fait qu’accompagner la Ville de Paris dans sa volonté d’améliorer le fonctionnement du quartier ». L’exécutif régional aurait cependant préféré que le programme de l’opération soit mieux préparé en amont, car « aujourd’hui on se retrouve avec quatre projets nuls parce que pas assez cadrés ». Et de prévenir que, selon les solutions envisagées, le Conseil régional financera ou pas le projet de réaménagement choisi.

Les propositions de Koolhaas, Nouvel et Maas affirment toutes trois la nécessité d’une relation forte entre le dessous et le dessus. Winy Maas, qui s’en tient à une posture radicale en couvrant l’ensemble du site d’un podium de verre coloré, semble dès à présent écarté du choix final. Selon le rapport de synthèse de la SEM-Paris Centre, « des doutes persistent sur la faisabilité technique ». Rem Koolhaas, qui incarne le moderne de la bande, insiste sur la rencontre des deux mondes. Ses émergences colorées, dont le nombre est modulable (de six à une vingtaine), sont conçues comme autant de balises permettant de se repérer et de circuler entre les multiples strates, de la gare RER jusqu’au jardin. Malin, il propose une « stratégie urbaine », alors que ses concurrents s’engagent dans des projets qui apparaissent davantage figés. Ce projet a la préférence des élus communistes parisiens qui regrettent néanmoins « que la commande faite aux équipes n’ait pas été plus précise et porteuse de grands choix urbains ». Jean Nouvel porte lui aussi cette exigence de la relation, lorsqu’il crée une vue vertigineuse et plongeante vers les quais du RER et améliore les circulations. Selon ses détracteurs, son projet pêche par une trop grande densité, bien que celle-ci ait été revue à la baisse. Reste enfin le projet Mangin, plébiscité par le collectif de rénovation des Halles, le GIE des commerçants du Forum (qui s’est également prononcé pour le projet Nouvel) et l’Association des usagers des transports d’Île-de-France. Architecturalement pauvre - son geste reste imposant mais n’a pas la monumentale dignité du carreau de Nouvel -, le projet de David Mangin consiste pour l’essentiel à couvrir le centre commercial par un toit à 9 mètres de hauteur ayant la surface de la place des Vosges ; le reste étant consacré à un jardin classique.

Un nouveau départ

à l’heure du choix

La CAO va devoir choisir sur la base d’un document rédigé par le SEM-Paris Centre qui classera les équipes en fonction des critères retenus. La procédure des marchés de définition lui laisse une grande latitude. Elle peut soit déclarer le marché sans suite, hypothèse plus théorique que plausible, soit choisir une ou même plusieurs équipes, si leurs propositions sont cohérentes. Sa décision est susceptible de recours, « comme tout acte administratif », précise la mairie. Et le risque n’est pas nul, tant les enjeux, notamment financiers, sont importants. Il reviendra ensuite au Conseil de Paris d’autoriser ou non Bertrand Delanoë à signer les marchés, formalité dont il s’acquitte généralement sans sourciller. S’il accepte, la mairie lancera « un deuxième travail de concertation pour arrêter un programme précis au cours duquel les habitants devraient être de nouveau consultés ». Bref, la décision de la CAO est loin de constituer l’aboutissement du processus d’élaboration du projet des Halles. Elle serait même un nouveau départ.

Cyrille Poy

(1) « Un pari sur le XXIe siècle », article paru dans Libération du 7 juillet 2004.