Paris Obs (03/06/04)

 

Les Halles : vive les polémiques !
 
Il faudra patienter jusqu’à l’automne pour connaître l’architecte qui façonnera les nouvelles Halles. Un délai pour se donner le temps de réfléchir. De débattre encore et encore sur les pistes proposées par les quatre équipes sélectionnées (notre dossier du 8 avril). Dès qu’on soulève le couvercle des Halles, les passions débordent. A gros bouillons. «ParisObs» a ouvert ses colonnes. Faites votre choix. Une certitude : il ne suffit pas d’ajouter quelques ingrédients nouveaux. Il faut balancer tout le contenu. Sans casser la marmite. Reste à trouver la recette qui tire vers le haut. Et non pas, une fois de plus, vers le plus petit dénominateur commun.


Le rendez-vous du 26 juin est annulé. Bertrand Delanoë se donne un trimestre de plus avant de se prononcer sur les quatre projets en lice pour le réaménagement des Halles. Le débat a pris une telle ampleur qu’il lui faut éviter à tout prix le compromis médiocre qui consisterait à prendre une pincée de Koolhaas, un nuage de Nouvel, une cuillerée à soupe de Mangin et un soupçon de Maas. Le maire veut un grand geste architectural. Et l’aval de ses administrés. Un bon point : l’exposition organisée par la SEM Centre est devenue la manifestation la plus courue de Paris. En huit semaines, près de
50000 visiteurs. Inouï. Un record auquel il faudrait ajouter la prise d’assaut des sites internet(1). Le plus étonnant, c’est la curiosité appliquée du public –jeunes et anciens, banlieusards, Parisiens, provinciaux, étrangers – écoutant les explications des étudiants en architecture qu’ils n’hésitent pas à bombarder de questions. Compulsant les très austères documents d’architecture mis à leur disposition. Remplissant scrupuleusement les bulletins pour griffonner leur opinion. Et participer
aux débats, voire aux polémiques qui vont croissantes : entre les défenseurs de l’harmonie patrimoniale et les partisans d’un geste urbain du XXIe siècle, entre les habitants du quartier et les usagers qui viennent de toute la métropole ou de province, entre les deux architectes français et leurs deux concurrents bataves. La voix du Maire de Paris sera prépondérante au
travers de la Commission d’Appel d’Offres (CAO). En attendant le mois octobre, «ParisObs» détaille les nœuds – parfois coulants– que Bertrand Delanoë se devra de trancher. En affrontant les inévitables mécontents.

Nécessaire ou superflu ?
Il y a eu dès le départ une ambiguïté. Le 26juin 2003, le maire présente aux riverains un projet de «rénovation». Pas une révolution. Au départ, il s’agissait de répondre à un impératif technique: le réaménagement des accès métro et Rer pour 800000usagers/jour. Et la mise aux normes de sécurité pour que l’évacuation du sous-sol et du Forum ne se transforme, en cas de pépin, en souricière. L’usure prématurée de certaines parties souterraines et les problèmes d’étanchéité des terrasses exigeaient également une refonte en profondeur. Et comme rares étaient ceux qui étaient prêts à s’immoler pour défendre les «parapluies» de Willerval, inadaptés au commerce moderne, leur suppression s’est imposée. Bilan: «C’est l’ensemble des Halles qui s’avère obsolète», résume Alain Le Garrec, élu du 1erarrondissement et président de la SEM Centre, maître d’œuvre de la concertation. Très vite, Delanoë voit l’occasion de réussir une opération phare, la sienne, qui marquerait
l’épicentre de la capitale candidate aux JO. L’option «grands travaux» l’a bien bien emporté sur l’opération «raccommodage».

Un concours ou une consultation ?
Pour lancer un véritable concours international d’architecture, il aurait fallu avoir un programme clair et précis. Ce n’était pas le cas de la Ville, qui ne savait pas en fait très bien où elle allait. L’option ouverte de «consultation» sur une «définition de projet» a prévalu. Elle permet à la Mairie de modifier dans les grandes largeurs les maquettes initiales. Astucieux: les architectes sont seuls face aux multiples interlocuteurs: la RATP, le gestionnaire du centre commercial (Espace Expansion) ou les habitants du quartier… Et le maire se pose comme un conciliateur, alors que, dans l’hypothèse d’un concours, il aurait dû fixer au préalable le projet. Et assumer plein pot le dossier du vainqueur. Si la méthode permet d’éviter les mauvaises surprises du clefs en main, elle a un inconvénient majeur: de grandes pointures de l’architecture comme Norman Foster, Renzo Piano ou Frank Gerhy dédaignent ce mode de sélection faute d’indemnités substantielles (100000euros dans le cas des Halles) pour les perdants. Ils se sont d’ailleurs fait porter pâle. L’atout du maire: la procédure retenue est plus rapide et moins lourde que lors d’un concours. Et pour Delanoë, le temps, c’est des voix: il veut que la première phase du chantier soit
inaugurable avant les municipales de 2007. Sa hantise: le trou qui s’éternise.

Pourquoi un match France-Pays-Bas ?
A ceux qui s’étonnent de la présélection de deux équipes néerlandaises et de deux équipes françaises sur les 36 candidatures déclarées, la SEM Centre répond qu’elle a privilégié la cohérence des projets et la solidité des équipes, paysagiste et bureau d’études techniques inclus. Notamment pour faire face à la gestion des flux considérables des stations RER et RATP.
Alors qu’aucun architecte italien ou anglais n’a répondu à l’appel d’offres, on comptait initialement trois équipes néerlandaises plutôt pertinentes selon les organisateurs.

Les Halles pour tous ou d’abord pour les riverains ?
La consultation des seules associations de quartier et la pétition de la principale d’entre elles – Accomplir – ont pu faire croire à un projet de quartier. Erreur. L’équipe Mangin, plébiscitée pourtant par les riverains, est d’ailleurs parfaitement convaincue que l’enjeu dépasse les deux premiers arrondissements. Du coup, la démocratie de proximité touche certainement ici ses limites. Si la concertation avec la population fut d’abord optimale au vu des nombreuses suggestions intégrées par la SEM Centre au cahier des charges, les associations ont ensuite très vite campé sur des positions
localistes. En insistant prioritairement sur la limitation des nuisances: point trop de commerces, plus de jardins et des travaux minimum… Sauf que les Halles, c’est aussi la première gare d’entrée dans la capitale. Et son Carreau s’impose déjà comme la grande dalle des pas perdus des habitants de la première et de la seconde couronne.
Question: pourquoi n’avoir pas élargi la concertation aux villes desservies par les RER des Halles? Cent dix maires ont bien été conviés tardivement par Jean-Pierre Caffet et Pierre Mansat à visiter l’expo, mais seuls une poignée d’adjoints se sont déplacés sous la houlette de Claude Pernès, maire de Rosny (Seine-Saint-Denis) et président de l’Association des maires
d’Ile-de-France.

Un grand ou un giga-centre commercial ?
Au-delà de la nationalité de leur architecte en chef, les quatre projets en lice peuvent se classer en deux familles. Celle qui densifie et celle qui, au contraire, s’efforce de diminuer la pression foncière et commerciale sur un territoire déjà saturé. Maas et surtout Nouvel élargissent considérablement la surface commerciale et facilitent… le financement de l’opération. Koolhaas et, dans une moindre mesure, Mangin contiennent l’expansion des boutiques. Deux paris sensiblement différents sur la vocation du quartier: un grand ou un giga-supermarché ?

La commission d’appel d’offres : un cache-sexe ?
« Il ne faut pas se tromper, l’architecte en chef des Halles, c’est Delanoë. » Les architectes Yves Lion et Paul Chemetov sont catégoriques: derrière la CAO, qui rassemble des élus de la majorité et de l’opposition, c’est bien le maire qui décide. Et ils ne lui contestent pas cette autorité. Tout au contraire: mieux vaut à leurs yeux un décideur identifié. L’UMP, qui réclame un référendum, en a trouvé un autre: le peuple des Parisiens. Mais, dans cette hypothèse, le projet du vainqueur serait à prendre en bloc. Delanoë n’a pas l’intention de se lier les mains. Il ne choisira qu’un principe d’aménagement en désignant un architecte pilote. Et se laisse toute latitude pour demander des amendements en se posant comme le médiateur des exigences des uns et des autres. Avant lui, les rois, les empereurs et les présidents bâtissaient la capitale sans rien demander à quiconque. Surtout pas aux édiles.

Paris patrimonial ou moderniste ?
Le débat sur la hauteur des constructions dans la capitale l’a montré: les Parisiens se méfient de l’architecture contemporaine et encore plus des architectes. Au vu de la tour Montparnasse ou du Front de Seine, ils ont quelques bonnes raisons. Et on peut penser, sans être passéiste, que l’équilibre classique et haussmannien est un aboutissement. Qu’il vaut donc mieux s’en tenir à des interventions ponctuelles. Mais une capitale mondiale peut-elle se figer? Ceux qui dénonçaient la «raffinerie» Beaubourg ne l’ont-ils pas finalement adoptée? Et comment rester sur la touche du renouvellement architectural qui donne des couleurs, du prestige, de la force, de l’attractivité à Barcelone, Berlin, Rotterdam ou Londres?
Attention: le débat n’est plus celui de la table rase. Il porte sur l’art de la coexistence. Entre Saint-Eustache et le superbe conservatoire de musique proposé par Nouvel, il y a bien l’espoir d’un dialogue entre le médiéval et les formes de ce début de siècle. Réjouissant.

Gérard Muteaud

(1) http://www.projetleshalles.com
http://www.paris.fr

Espace expansion : L’autre décideur

Marguerite des Cars, vice-présidente d’Espace Expansion, est une femme d’un certain âge, discrète, voire effacée. Mais lorsqu’on lui parle de son bébé –le Forum des Halles qu’elle a porté sur les fonts baptismaux– son œil s’allume et elle retrouve les réflexes d’une mère lionne défendant son petit. Avec 60000m2, le centre commercial des Halles se positionne comme l’un des trois plus rentables de France avec un rendement de 9800E/m2. Le trou des Halles est devenu une tirelire pour Unibail, actionnaire (65%), avec Axa, d’Espace Expansion, qui comprit le premier l’intérêt de bâtir une galerie commerciale autour de la principale gare d’entrée dans Paris. «Ce n’est pas à nous de trancher sur les choix architecturaux. Nous sommes des partenaires associés à ce projet, au même titre que la RATP et la Région Ile-de-France. Mais à la CAO, notre voix n’est que consultative.» Alors, sleeping partner, le gestionnaire du Forum? Pas vraiment. «Il est certain que cette opération ne se financera pas uniquement par la réalisation d’équipements publics supplémentaires. Si nous sollicitons notre
actionnaire pour financer une partie des travaux, il faudra que le projet corresponde à une amélioration et à un gain de surface.» Au bas mot: 15000m2 supplémentaires. Autant dire que les projets destructeurs du dessous et donc des espaces commerciaux –comme ceux des deux Hollandais –ont peu de chances de décrocher le pompon. «Nous sommes un peu comme les riverains, nous avons peur du chantier. Il faut un phasage impeccable pour ne pas bloquer l’activité économique, même si des indemnisations sont toujours possibles.» En résumé: Winy Maas? «Il détruit tout: il faut fermer les Halles durant des mois de travaux.» Rem Koolhaas? «Quand vous mettez la tripaille dans ses émergences, ça n’est plus transparent. Il y a juste la place pour les escalators, pas pour une activité commerciale.» Jean Nouvel? «Il pense à des hôtels particuliers dédiés à des marques haut de gamme au rez-de-chaussée de son carreau. Ce n’est pas notre créneau. A l’origine, le niveau –1 était
très typé marques de luxe. Ça n’a pas marché. Nous sommes un lieu populaire.» David Mangin: «Vasconi a donné la lumière au Forum avec la place basse et ses verrières. Le toit transparent de Mangin devrait la préserver.» Vous m’avez compris?
Gérard Muteau
 


Paris mérite la démesure

Jean-Jacques Aillagon Ancien ministre de la Culture
 
ParisObs - Vous avez été ministre de la Culture, président de Beaubourg, directeur des Affaires culturelles de la Ville de Paris. La rénovation des Halles vous inspire?
Jean-Jacques Aillagon. - Je salue l'initiative, j'y pensais depuis longtemps. Alors président du Centre Pompidou, j'ai dit à Bertrand Delanoë: «Maintenant que tu es maire de Paris, il faut t'attaquer aux deux grands échecs architecturaux de la capitale: les Halles et le quartier de l'Horloge.» Leur pauvreté architecturale saute aux yeux alors qu'il s'agit de secteurs centraux et sensibles qui contribuent à l'image de la ville. Ils conditionnent son fonctionnement et sont confrontés au Centre Pompidou, une immense réussite de l'architecture du XXe siècle.  
En aviez-vous parlé avec Chirac, quand il était maire de Paris ? - Ça m'est arrivé, mais à l'époque tout cela était trop récent pour que l'on s'attaque au problème.
Avez-vous une préférence pour l'un des projets ? - J'hésite : Koolhaas prend le parti de la grâce, de la joie, du jeu avec les formes. Sa polychromie est une sorte d'écho à celle de Beaubourg. Le projet de Nouvel, lui, est passionnant. Il marque une infinie compréhension de ce qu'est Paris et ce quartier. Un projet élégant et très «chic».  
Difficile pour Delanoë ? -Il va devoir choisir et ne pas céder à la vox populi qui, souvent, est plus porteuse de conservatisme que d'audace. Il faut savoir oser: Paris doit rester une métropole de référence.Je suis favorable aux tours, comme à Londres ou à Shanghai, si elles s'inscrivent avec subtilité dans la ville.

Eve Roger



Du culot, sinon rien

Quel que soit le projet choisi, classique ou ludique, il signera "l’achèvement de l’histoire de Paris dans un nouveau Palais-Royal du XXIe siècle".
 
François Lamarre Un seul projet dynamique
 
Jean Nouvel. C’est le projet qui en tartine le plus. Les surfaces construites passent du simple au quadruple. Son Carreau est immense et veut faire jeu égal avec le Centre Pompidou, sur une surface égale au Palais-Royal. Son jardin à 27 mètres de haut et qui plonge autant vers le RER, me fait l’effet d’une halle infernale : 60 mètres de vide intérieur, c’est absyssal! Quelle est sa viabilité du point de vue de la sécurité et de l’accessibilité ? On ne peut pas envoyer les foules sur les toits sans les
compter! Et les deux programmes immobiliers plantés le long des rues Berger et Rambuteau referment l’espace central. Nouvel accapare aussi le débat en proposant, non pas un, mais une vingtaine de projets. Mais je reconnais que le projet a une coloration assez parisienne dans son architecture.  
David Mangin. C’est le projet le moins disant. Il est frappé au coin du bon sens mais plutôt lénifiant. Il propose une esplanade parisienne de plus, somme toute banale. Il ne veut pas voir ce qu’il y a en sous-sol : le métro, le RER, les commerces et les multiples équipements. Il referme le couvercle avec une réalisation du XIXe siècle, indifférente à la ville mobile et moderne qui grouille en dessous.
Winy Maas. On passe ! Son projet n’est pas défini ; il est difficile à appréhender, à visualiser. Mais lui, au moins, regarde et prend en compte la ville souterraine.
Rem Koolhaas. C’est de loin le projet le plus dynamique, et qui dialogue avec Pompidou dans une esthétique contemporaine et stimulante qui ne se réduit pas à son apparence psychédélique. Sa première qualité est de faire remonter la ville souterraine comme autant de bulles qui viennent crever à la surface. Il va chercher les différents niveaux de sous-sol pour faire jaillir les fonctions enfouies. De plus, c’est celui qui apporte la plus grande respiration sur le site.
Eve Roger
 

Philippe Trétiack Le royaume de l’architecture emballée
 
«Moi, j’aime bien les derricks de Koolhaas, mais on a l’impression que le choix des quatre équipes a été fait pour que Jean Nouvel gagne. Déjà, les deux équipes hollandaises, ce sont les mêmes: Winy Maas et Rem Koolhaas viennent de Rotterdam, une ville construite sur l’idéologie de la modernité absolue. Complètement reconstruite après la guerre,  Rotterdam était visitée par les urbanistes internationaux dans les années 60 au nom de cette modernité, et ça continue encore aujourd’hui. En clair, cet espace est l’antithèse de Paris qui aime la modernité, mais pas celle qui choque. On imagine mal que Paris choisisse un projet maximaliste. La troisième équipe, celle de Mangin, est très étrange: son projet est le moins intéressant de tous, et il ne devrait pas satisfaire non plus. Reste donc Nouvel, un projet généreux et confus, plein d’idées mais pas abouti.  La Mairie de Paris est consciente que si l’on ne construit pas à Paris, on va crever. A Londres, on édifie des tours: Norman Foster a fait la sienne, Renzo Piano va bientôt faire sortir de terre une ville verticale avec des bureaux, mais aussi des logements, des commerces, des équipements… et sans un seul parking! Tout le monde viendra en transports en commun.  Les villes ont besoin de gratte-ciel. Si on ne fait pas ça, Paris sera une ville morte, une ville musée. Pour l’instant, la seule chose que la Ville construit, ce sont des rehausseurs sur la chaussée pour freiner les voitures! On freine tout! Pourtant, Delanoë est un esthète: il a compris qu’on ne peut pas faire le Louvre des Antiquaires dans toute la capitale,
mais il est bloqué à cause des Verts de sa majorité. Avec le Drugstore Publicis, on a tenté de nous faire croire que les architectes des Bâtiments de France étaient devenus modernes, mais en réalité, Paris est devenu le royaume de l’architecture emballée: Francis Soler le fait avec le ministère de la Culture, et on prévoit l’emballage du Fouquet’s sur les Champs-Elysées
par Edouard François, avec une fausse façade du Louvre à échelle réduite!»
Eve Roger
 

 
JackLang Député PS du Pas-de-Calais
 
Delanoë, comme Mitterrand et moi-même… «J’attendais cela depuis 20 ans. La Mairie de Paris fait là œuvre de
réparation historique et esthétique. Il faut éradiquer ce chancre hideux que l’on doit à une municipalité de droite. Quel que soit le projet retenu –ils sont tous de qualité–, il sera source d’urbanisme à visage humain. Il s’agit de redessiner un tissu, déchiré par cette construction en carton-pâte proche du degré zéro de l’architecture. Il faudra garder des photos pour montrer aux étudiants l’horreur architecturale. La nullité est criminogène: elle génère de l’insécurité alors que le beau est source d’harmonie, d’échanges, de convivialité. Choisir à partir d’un petit nombre d’architectes est intelligent : on avance par une discussion progressive. Je l’avais éprouvé pour le projet de l’Institut du Monde arabe. Nous avions fait un pari en
demandant à 12 jeunes architectes de travailler– dont Jean Nouvel, peu connu à l’époque. Un petit comité avait fait une première sélection, puis nous avions choisi, François Mitterrand et moi-même.»

Eve Roger
 
 
François Chaslin Nous arrivons au stade terminal !
 
ParisObs. – Que vous évoque ces quatre projets?
François Chaslin – Je trouve qu’il n’y a pas immensément de choix. Si l’un ou l’autre de ces projets se faisait, le centre de Paris arriverait au terme de son évolution. Et ça m’angoisse. Ceux qui comme moi ont connu le trou des Halles comprendront ce que j’éprouve : le trou va se remplir. Les projets finis ne sont pas démolissables, ils bouclent un processus historique d’une ville qui est déjà bouclée, pleine comme un œuf, où il n’y a plus de franges, plus de marges…
Avez-vous tout de même une préférence ? – Je laisse de côté ceux qui me semblent faibles : on a l’impression que Winy Maas a travaillé plus pour apparaître dans les revues d’architecture que pour gagner. Celui de Mangin est timoré malgré des qualités fonctionnelles évidentes, mais il ne laisse aucune place à l’imaginaire. En revanche, le projet de Koolhaas est
jaillissant. Il permet d’imaginer un paysage ludique, joyeux, coloré. Mieux, il est incertain, ses tours peuvent être provisoires. Il est frais, il respire. Pas comme celui de Nouvel qui, lui, est très abouti, très fermé, très coordonné. Le projet est classique, rythmé, rigoureux, avec un énorme investissement d’idées et de programmes. Pour moi, le saupoudrage de jardins, c’est du bidonnage. A sa décharge, je trouve assez fort la construction de cet immense toit habité très haut qui plonge dans les
tréfonds. C’est aussi l’achèvement de l’histoire de Paris dans un nouveau Palais-Royal à la mode du XXIe siècle débutant.
Eve Roger
 


Lorenzo Sancho de Coulhac, RATP : penser aux usagers

Comme entrée dans Paris, on peut rêver meilleur accueil que des boyaux obscurs et des kilomètres de corridors labyrinthiques. S’il y a urgence à reconfigurer les Halles, c’est bien pour les 800 000 usagers/jour de la RATP. Bizarrement, tout le monde glose sur la hauteur du carreau de Nouvel, l’usage des émergences de Koolhaas, le couvercle transparent de Maas, la hauteur du toit de Mangin. Mais aucun commentaire sur les niveaux – 4 et – 5. C’est là le royaume de la RATP, celui des flux qui gonflent les artères du Forum. «Quel que soit le projet qui sera adopté, nous reprendrons l’idée de Mangin, Koolhaas et Maas d’une extension de la salle d’échange vers l’ouest et la place Carrée, et aussi l’amélioration des jonctions vers Châtelet et Rivoli proposée par Nouvel et Koolhaas. Ce sera le nœud de la négociation. Sur les jonctions du bas vers le haut, Mangin, Koolhaas et Nouvel apportent des solutions qui doivent être amendées. On sait par exemple qu’il y aura des difficultés à ouvrir le niveau –5 sur les voies du RER. Ce n’est pas réalisable sans arrêter le trafic et ça réduit trop les surfaces. Quant à Maas, son concept correspond plus à celui d’une gare TGV que RER. Et je ne suis pas sûr que la  proposition de Koolhaas de zapper la sortie par le Forum soit une bonne idée.» G.M.

Guillaume Malaurie



Le lobby des riverains

Habitants, associations et commerçants du quartier en pincent pour le jardin de Mangin. L'argumentaire est béton.De leur point de vue.  
Accomplir a voté Mangin. L'association de quartier survitaminée - elle anime deux fêtes de quartier, une chorale et deux vide-greniers par an - s'est prononcée sur 51 critères «objectifs», tels que la surface créée, la continuité du jardin, etc. Le projet Mangin l'emporte haut la main par 41 sur 51. Maas obtient 18, Nouvel 16 et Koolhaas 14: «Maas? Il vitrifie tout.
Et son jardin à 5 mètres de haut va casser la fonction de transit du jardin actuel. On ne pourra plus traverser que par des galeries commerciales souterraines», dit Elisabeth Bourguinat, la présidente. Nouvel ? «Il surdensifie et plonge le quartier dans l'ombre: neuf étages rue Lescot, une barre d'immeubles rue Berger et une autre tour (ndlr: le conservatoire de
musique) au pied de Saint-Eustache. Pour mieux guider le regard vers le clocher, a-t-il eu le culot de nous dire», peste Gilles Pourbaix, son vice-président. Depuis, un slogan fait fureur au sein de l'association: «Pas de Nouvel, bonnes nouvelles. » Quant à Koolhaas, «c'est une provocation. Son grand canyon fait émerger le centre commercial dans le jardin et il construit carrément une tour au milieu de la pelouse», reprend Elisabeth Bourguinat.
Mangin est finalement le seul acceptable: «Nous n'aimons pas son toit dans le jardin, mais c'est le plus novateur contrairement aux apparences. C'est le seul par exemple qui anticipe un système de livraisons par rail en ajoutant à la gare un quai de déchargement assorti de zones de stockages provisoires. Son jardin est un peu rudimentaire mais il ne densifie pas plus que ne le demande le cahier des charges. Et il a pris en compte notre souhait d'un marché alimentaire bi-hebdomadaire. » Conservatrice, Accomplir? « Sûrement pas !, se défend sa présidente. Nous sommes pour la rénovation. Mais à l'échelle du quartier.»  
L'association dissidente d'Accomplir, Paris des Halles, a pris les positions inverses: contre le marché alimentaire et pour les projets néerlandais de Maas et Koolhaas. Mais c'est le front commun contre Nouvel.

Catherine Erhel  


Les archis archi-divisés

Nouvel, Koolhaas et Mangin : le tiercé gagnant des pros de la corporation. Qui s’interroge sur la procédure adoptée pour désigner les quatre compétiteurs.
 
Paul Chemetov «Non à la verroterie !»
C’est peu dire que l’architecte du ministère des Finances n’est pas un chaud partisan d’une refonte totale des Halles. A une intervention chirurgicale lourde, il préfère une démarche curative. Normal quand la concurrence –Maas avec sa cathédrale enterrée et Koolhaas avec son canyon– promet à démolition la place Carrée et la piscine sous garanties de responsabilité constructive jusqu’en 2017 et dont il est l’auteur. «Sur ces deux projets, pour commencer, on va en démolir pour 200millions d’euros! J’entends dire aujourd’hui qu’il faudrait faire moderne. La mode, ça vieillit très vite. C’est fait pour les vêtements ou les projets éphémères : Paris-Plage, la Nuit Blanche… Il ne faudrait pas refaire du "fun" comme avec les parapluies de Willerval.»
Un peu fâché que l’on ait songé à consulter ni Vasconi, ni lui, il peste contre les projets destructeurs qui du passé veulent faire table rase. «Il faut trouver ses appuis dans la ville historique, se servir du passé comme d’un ressort pour aller de l’avant. La proposition de Maas, c’est bien joli pour regarder sous les jupes des filles, mais ça ressemble à de la verroterie pour les indigènes. Koolhaas amène une vraie réponse à l’architecture sur dalle, mais aux Halles, la dalle est un jardin où il n’y a pas de tours. Seul les deux Français ont compris qu’on était en France et à Paris. Le point fort de Nouvel, c’est aussi son point faible : le jardin sur les toits, ça fait un peu France d’en haut, il y a un côté Tour d’Argent. Un lieu perché à 27mètres, c’est un lieu sélectif, filtré. L’idée du vide dans le projet Mangin est bonne. Mais il faut revoir son jardin: du
gazon, ça va à la Villette, sur 50hectares, mais aux Halles, sur la moitié de 5 hectares, ça ne tiendra pas trois semaines de canicule. Et il y a surtout la question de l’îlot Berger. Si les Halles sont réussies, ça vaudra de l’or. Il faut exproprier avant au lieu de laisser les occupants actuels tirer plus tard les bénéfices de l’investissement public.» G. M.  

Gérard Muteau


Yves Lion, architecte«And the winner is…»
 
«Je n’ai jamais vu une étude de définition avec un tel luxe de travail. La vraie question: est-il besoin d’ajouter un centre au centre de Paris? Entre le projet Mangin qui n’est pas assez, et celui de Nouvel qui est trop, on peut encore imaginer d’autres solutions. Nouvel a réussi un chef-d’œuvre à Lucerne en prenant en compte les remarques des habitants. Autrefois, les
Français ne s’intéressaient pas à l’architecture, alors qu’ils manifestent aujourd’hui un véritable engouement pour le sujet. Il ne faudrait pas que la consultation sur les Halles se termine comme à Cannes, par un «and the winner is…». Il y a là l’opportunité d’organiser une véritable consultation démocratique en organisant un second tour.» G. M.  
Gérard Muteau

 
Christian Biecher, architecte-designer «La métaphore du flipper»
 
Il a participé au Cercle des Halles, structure de concertation informelle mise en place à la demande du Maire pour réfléchir au futur des Halles : «Quand les quatre candidats ont été sélectionnés, il y a eu immédiatement un front anti-Bataves dans le milieu des architectes français. Moi, j’aime la grille de lecture un peu anglo-saxonne des Hollandais. Les Français, eux, ont une vision très contextuelle et historique. Mais seul Koolhaas ouvre une perspective nouvelle. La métaphore du flipper est assez juste: il crée un espace où le regard rebondit. Ses émergences ne sont pas anecdotiques, elles ont une fonction. Signalétique d’abord: elles permettent de visualiser les trémis d’accès aux institutions qu’elles symbolisent: Forum des Images, conservatoire de musique, Fnac, cinémas… Elles font entrer la lumière et les gens à différents niveaux du sous-sol. Avec le canyon central ouvert, le jardin-dalle respire, il y a un vrai dialogue entre le fond et la surface. L’originalité des jardins de Koolhaas a été mal perçue. L’organisation cellulaire en grands cercles répond à la rotondité de la Bourse de commerce et leur programmation thématique –permanente ou éphémère– autorise une multiplicité d’espaces. Pour les Halles, il faut un projet qui aille de l’avant, au-delà d’un simple jardin avec un bâtiment.»

Gérard Muteau

 
Philippe Starck «Si on maltraite les gens…»
 
«Les Halles, c’est mon meilleur souvenir de jeunesse. Entre le départ des mandataires et la démolition des pavillons Baltard, c’était un endroit libre, le cortex de la ville, un Palais de Tokyo à ciel ouvert. Je ne suis pas un fou d’architecture. L’humain a besoin de simplicité. Pourtant, le projet Nouvel me bluffe par la richesse de ses volumes et de ses circulations. Et le jardin sur les toits, c’est un vrai cadeau pour les Parisiens. Mangin propose la dalle-jardin la plus simple, la transparence du toit donne du volume à l’intérieur. Mais au final, vu de la rue, ça risque de ressembler à un centre commercial. Maas est le plus ludique, séduisant en diable. On aimerait marcher sur ce jardin suspendu dans le vide avec ses arbres nichés dans des alvéoles. Mais il s’agit d’une dalle perchée à 5 mètres du sol et ça, c’est rédhibitoire. Koolhaas paraît le plus intelligent
dans son dialogue entre le dessus et le dessous. Ses émergences facilitent la pénétration dans le ventre du monstre, mais elles frôlent l’anecdote. Les Halles sont un lieu de haute fréquentation, pas facile à gérer. Même le café Costes, face à Beaubourg, a dû fermer sous la pression des hordes barbares, coincées entre un Mac Burger et un King Pizza. En même temps, si on
maltraite les gens, ils se vengent sur leur environnement.»

Gérard Muteau

 
Roland Castro «Il faut envoyer Nouvel au charbon»
 
«Les Halles, c’est la seule fois où j’ai manifesté contre des bâtiments. C’est un lieu qui a une telle énergie qu’il ne faut pas en rajouter. Il faut la jouer calme, parce que c’est déjà, et ça restera, très énervé. Je trouve que Nouvel a bien bossé, le cadrage qu’il fait du jardin, la hauteur de son Carreau, tout ça est très cohérent. Personne n’a vraiment saisi le cadrage
de son portique, sous le Carreau. Sur une maquette, c’est pas facile à voir. Beaucoup de gens ont coincé sur Beaubourg. Si on avait demandé leur avis aux riverains, ils auraient plombé le projet. Mais dès que les Parisiens ont monté les escalators de la raffinerie et ont découvert la ville, c’était gagné. Moi, je ferais confiance à Nouvel et je l’enverrais au charbon face
aux Parisiens. Il sait faire. Et peut amender encore son projet.»

Gérard Muteau