Paris redessine son quartier des Halles

Le ventre de Paris doit être réaménagé. Le maire, Bertrand Delanoë, va
dévoiler, demain,les réalisations des quatre équipes d'architectes retenues
dans une première phase. Le projet devra préserver les intérêts économiques
d'un quartier, qui compte, avec le Forum, le plus important centre parisien
de commerces et de loisirs, fréquenté par 41 millions de personnes par an.

Destruction des animaux nuisibles », indique l'enseigne en lettres dorées
sur fond noir. Une trentaine de rats, qui atteignent parfois la taille d'un
chat, sont exposés dans la vitrine aux côtés du matériel conçu pour les
piéger. « Certains ont été capturés aux halles en 1925 », peut-on lire sur
un petit panneau. Façon de rappeler que la maison Aurouze, fondée en 1872,
fait partie des plus anciennes boutiques de ce quartier, autrefois baptisé
le « ventre de Paris ». C'est là, dans le 1er arrondissement, que fut
aménagé le plus grand marché de la capitale au XIIe siècle, situé alors hors
de son enceinte, avant d'être transféré huit siècles plus tard pour des
raisons de salubrité en banlieue, à Rungis.

Aujourd'hui, cette zone de 15 hectares, dont 4 de jardin, doit faire l'objet
d'une vaste opération de réaménagement décidée par la Ville de Paris. Le
maire, Bertrand Delanoë, va dévoiler, demain,les réalisations des quatre
équipes d'architectes retenues (lire ci-dessous). « Il ne s'agit pas de
raser pour faire quelque chose de nouveau, avait-il indiqué en juin, lors de
la réunion publique qui a donné le coup d'envoi de la concertation. Il faut
faire preuve d'imagination et de pragmatisme, en partant des réalités fortes
de ce secteur, où une identité n'a pas été trouvée après la rénovation des
années 1970. » Le projet avait alors provoqué une intense bagarre entre les
associations menée notamment par l'Union des Champeaux, l'Etat et la
municipalité, avant que Jacques Chirac, premier maire de Paris, élu en 1977,
ne reprenne les choses en main. Il a donné naissance à un ensemble « plus
composite que prestigieux », selon les spécialistes, avec, en 1977, la mise
en service d'une immense gare RER souterraine et, en 1979, l'inauguration du
Forum et de ses commerces. Un gigantesque chantier vécu comme un traumatisme
par les habitants, car il a laissé béant, pendant une dizaine d'années, le
tristement célèbre trou des Halles.


Un véritable centre de Paris
Aujourd'hui, la municipalité veut transformer ce « confetti » en un
véritable centre de Paris. Elle mise pour cela sur un « geste architectural
» à la hauteur des monuments situés à proximité, comme Beaubourg ou le musée
du Louvre. Un centre qui, grâce au RER et au métro, est aussi la première
porte d'entrée de la banlieue dans la capitale. Porte par laquelle arrivent
plus de 100 millions de personnes par an. « La destruction s'est faite dans
la douleur, et le bilan est raté. Il n'y a aucune dynamique dans cet espace
et aucun lieu de rencontre entre Paris et sa banlieue », souligne Alain Le
Garrec, élu de la ville et président de la SEM Centre, qui conduit les
études préalables à l'opération. Le maire UMP du 1er arrondissement,
Jean-François Legaret, n'est pas opposé à cette démarche, mais avertit : «
Si toute cette agitation est pour ripoliner le Forum, cela passera mal
auprès des habitants. Si on casse tout aussi. Il faut quelque chose de
nuancé et d'audacieux. »

Le pari est difficile, car il doit concilier de multiples enjeux.
Economiques d'abord. A Paris, le Forum des Halles est le premier centre de
commerces et de loisirs par sa fréquentation. En terme de transport ensuite.
Il est le plus important pôle de transit de la RATP avec 800.000 passages
par jour. Enfin, il s'agit d'améliorer le quotidien des 7.900 habitants du
quartier, soit la moitié de la population de l'arrondissement.

« J'aime mon quartier de 7 heures à midi et pas le week-end », assène
Françoise Thomas, la présidente de Vivre dans le quartier des Halles, une
association représentant les commerçants de la rue Montorgueil. Ce
témoignage symbolise à lui seul la coupure ressentie entre une ville
souterraine, dite « le millefeuille », qui s'enfonce à 28 mètres, et les
rues en surface. Deux mondes qui se côtoient, mais s'ignorent.

Ainsi la clientèle du Forum est constituée de 56 % de visiteurs venant de la
région, 34 % de Parisiens et 10 % de touristes. Au total, 41 millions de
personnes par an contre 39 millions pour les grands magasins du boulevard
Haussmann. L'origine de cette affluence tient évidemment aux trois lignes de
RER et cinq de métro qui s'y croisent. « L'accessibilité est très forte,
puisque les Halles sont à moins d'une demi-heure de l'ensemble de la petite
couronne et à moins d'une heure des trois quarts de la population régionale
et des quatre cinquièmes des emplois », précise Lorenzo Sancho de Coulhac,
directeur de l'agence de développement de la RATP. Si bien que ce carrefour
est devenu un lieu de rendez-vous pour une foule très cosmopolite. « Cette
grande diversité tient à la mixité entre les équipements publics et les
commerces. Les gens viennent au Forum pour voir une expo ou un film, se
balader ou faire du shopping », précise Marguerite des Cars, vice-présidente
d'Espace Expansion (Unibail), gestionnaire du Forum et gérante de la Société
Civile du Forum des Halles. Cette dernière, qui a acheté en 1994 les espaces
commerciaux au Crédit Lyonnais et à un groupe japonais, possède un bail à
construction jusqu'en 2055, car les 70.000 mètres carrés de l'édifice (dont
17.000 mètres carrés de voies publiques) sont bâtis sur un terrain de la
Ville de Paris. Ce qui explique que le Forum, outre ses 180 commerces et
3.000 emplois, abrite des équipements comme le Forum des images (300.000
entrées), une médiathèque, une piscine olympique (320.000 entrées) et le
Pavillon des arts.

Une affaire qui tourne. Les enseignes installées là se déclinent au
superlatif, car le site affiche le plus fort rendement au mètre carré de
l'Ile-de-France, voire de la France tout entière : y voisinent le plus grand
magasin H&M français, le premier complexe cinématographique national, l'UGC
Ciné Cité avec ses 26 salles (3,5 millions d'entrées en 2003) et la FNAC, la
plus performante d'Europe, qui affiche 177 millions d'euros de chiffre
d'affaires. Présente depuis l'origine, elle a été agrandie de 2.000 mètres
carrés en décembre dernier. « Le chiffre d'affaires du Forum a atteint 477
millions d'euros en 2003 et il ne cesse de progresser depuis 1996, du fait
notamment des travaux engagés par Unibail après le rachat afin de relancer
la dynamique commerciale », reprend Marguerite des Cars. En dix ans, 40
millions d'euros ont été investis par le groupe, notamment pour augmenter la
surface des boutiques, à l'origine au nombre de 300, et attirer des
enseignes de mode. Les verrières, l'accueil, la signalétique, l'accès
piétons aux parkings ont aussi été refaits.


Victime de la corrosion
Pourtant l'image de ce pôle commercial n'est pas toujours positive : les
espaces mal entretenus au niveau des rues, dans le bas des pavillons et le
vieillissement de la superstructure, victime de la corrosion, donnent un
sentiment d'abandon aux visiteurs. Or ces surfaces sont publiques, donc de
la responsabilité de la ville. C'est en effet la SEM Centre qui est chargée
de leur gestion, ainsi que de celle des équipements collectifs du Forum. «
La partie émergente est dans un état lamentable, reconnaît Alain Le Garrec.
Le conservatoire a été installé dans une serre, quant au Pavillon des arts,
qui devait être la salle la plus prestigieuse de Paris, son accès est
introuvable. » Sans parler des problèmes d'étanchéité sous le jardin qui
occasionnent parfois des fuites dans le Forum. « Il faudrait au minimum de
70 à 80 millions d'euros pour une remise en état de ses équipements sans
aucune amélioration », précise Serge Federbush, le directeur de la SEM. Tous
les acteurs du dossier sont d'accord pour que ces pavillons bordant la rue
soient détruits.

Autre site qui n'a pas subi de rénovation lourde depuis son inauguration, la
salle d'échanges souterraine, noeud du réseau parisien. Un espace d'une
grande complexité, avec un long couloir de 500 mètres entre les Halles et
Châtelet. Depuis plusieurs années, la RATP songe à revoir totalement son
architecture, mais aussi à y installer des commerces.

La réhabilitation des 7 portes d'entrée du Forum dont la porte Lescot,
équipée d'un escalator direct vers le sous-sol, appelé le « tube » ou la «
descente aux Enfers », sera un des challenges de la rénovation. Espace
Expansion souhaite que des passages en palier soient aménagés afin que les
visiteurs puissent passer devant les boutiques. « Nous ne voulons pas
d'accès trop directs qui nous marginaliseraient », insiste Marguerite des
Cars. En effet, aujourd'hui, les niveaux moins un et moins deux du Forum
connaissent pour cette raison une moindre affluence. « Il faut concilier
l'exigence du transport, qui est d'aller vite, et celle d'un centre
commercial où on doit s'arrêter », estime Lorenzo Sancho de Coulhac, de la
RATP.

Cette refonte aura aussi un impact en terme économique sur le pôle voisin de
la rue de Rivoli, avec la Samaritaine, C&A... Le Comité Rivoli, qui regroupe
150 commerces, voit plutôt d'un bon oeil le projet. « Il va renforcer
l'attractivité du centre de Paris, ce qui sera bénéfique à l'ensemble des
commerces, estime Rémy Lacointat, président du Comité Rivoli et directeur du
BHV. Nous espérons bien capter une partie de cette clientèle. »

Les livraisons sont aussi un des enjeux. Car la réglementation en matière de
circulation et de stationnement, dans cette zone piétonne longtemps restée
la plus vaste d'Europe, n'est pas respectée. La municipalité a demandé à la
RATP si le fret pourrait être acheminé par voie ferrée. Ce qui suppose la
suppression de 4,5 kilomètres de voirie souterraine afin d'aménager une
plate-forme logistique en sous-sol. La RATP reste fort prudente sur le
sujet, alors que l'exploitation avec un RER toutes les deux minutes est déjà
très tendue. Reste à étudier les possibilités la nuit. « Je partage cet
objectif de diminuer la circulation dans le centre de Paris, remarque de son
côté le maire du 1er, Jean-François Legaret. Il faudrait réserver la voirie
souterraine à la desserte des parkings. »

Les riverains, outre l'amélioration du jardin, dont les recoins favorisent
toutes sortes de trafics même si l'insécurité comparée au nombre de
visiteurs est peu élevée, s'inquiètent surtout de la disparition des
commerces de bouche. Accomplir, une association très impliquée dans le
projet, demande l'installation d'un marché deux jours par semaine. « Ce
serait un symbole fort dans ce quartier qui a nourri la ville et où il ne
reste plus que deux marchands de légumes et un fromager pour les 3.000
salariés du Forum », souligne Elisabeth Bourguinat, sa présidente.


Pour une meilleure intégration
Les commerçants de la rue Montorgueil ne sont pas opposés à cette idée, qui
attirerait davantage de clientèle alors que le nombre d'habitants s'est
rapproché du seuil critique indispensable à leur maintien. « En revanche, si
demain des enseignes alimentaires sont autorisées dans le Forum, ils auront
beaucoup de souci à se faire », remarque Françoise Thomas, de Vivre au
quartier des Halles. Dans le cadre du projet, Espace Expansion a réclamé
15.000 mètres carrés supplémentaires, dont 2.000 mètres carrés pour une
supérette. Une demande qui n'est pas anodine, car c'est par la vente de
foncier que la ville va financer une partie du projet, dont le coût global
n'est pas connu.

Chacun des acteurs sera également attentif au calendrier des travaux, après
le traumatisme des années 1970. « Pour les commerçants du Forum, cette
requalification est l'opportunité d'une meilleure intégration dans le
quartier, avec la création d'enseignes au niveau rue, rappelle Luce Siguier,
directrice de l'UGC. Il faudra veiller à ce que le chantier n'ait pas
d'incidence sur notre activité. » Il ne sera pas facile de conjuguer
l'intérêt de chacun.

Du côté des riverains, on estime que l'ambition ne doit pas être non plus
démesurée : « Ce ne sera jamais un centre-ville. Il n'y a ni grandes avenues
ni beaux magasins, insiste Elisabeth Bourguinat, d'Accomplir. Mais un coeur
de ville, oui ! »


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Un passé de huit siècles
1137 : Louis VI le Gros crée un marché en plein air sur le lieu dit « les
Champeaux ».
1183 : Philippe Auguste fait construire les premiers bâtiments en dur.
1532 à 1640 : les halles sont reconstruites par mesure d'hygiène.
1853 à 1912 : le premier pavillon Baltard est inauguré par Napoléon III. Dix
autres suivront, les deux derniers en 1935.
1968 : les projets de rénovation sont repoussés par le Conseil de Paris.
1969 : départ des Halles pour Rungis sur décision de l'Etat.
1971 : la démolition des pavillons donne lieu à des manifestations.
1978 : Jacques Chirac, maire de Paris, se proclame « architecte en chef » du
projet.
1979 : inauguration du Forum des Halles.
1985 : ouverture de la deuxième partie du Forum en souterrain.
 

DOMINIQUE CHAPUIS

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