Les Echos (03/06/04)

 

Halles de Paris : quatre projets à l'affiche

Le débat public sollicité par la municipalité du maire de Paris, Bertrand Delanoë, invite chacun à se prononcer sur l'avenir du carreau des Halles.

Bourde monumentale, la démolition des pavillons de Baltard à l'été 1971 a précipité le carreau des Halles dans la modernité et la mobilité. Hier ventre de Paris, les Halles en sont aujourd'hui les entrailles avec 800.000 personnes transitant chaque jour par son pôle d'échange souterrain (RER et métro), l'une des principales portes d'entrée de la capitale, à l'égal des gares du Nord et de Saint-Lazare. Ce « mouchoir » de 10 hectares, l'équivalent du Palais-Royal, s'appréhende désormais en profondeur dans la stratification des fonctions opérée au terme d'un chantier de quinze années.

Aujourd'hui, l'état des lieux est préoccupant. Si les ouvrages en creux tels que le Forum (Vasconi et Pencreac'h, architectes) ou la galerie d'équipements (Chemetov, architecte) résistent bien, les ouvrages en superstructure dont les Corolles (Willerval, architecte) ont donné prise au temps.

Dévoilés début avril, les quatre projets de réaménagement sont aujourd'hui présentés à l'état d'études de définition et font l'objet, jusqu'à fin juin, d'une « exposition-concertation » sur place.

Le public afflue dans une ambiance presque studieuse. Bulletins et site Internet permettent à chacun de s'exprimer pour éclairer la municipalité dans le choix du lauréat annoncé pour l'été. S'ensuivra un long processus d'affinage avant contractualisation du projet définitif. Au terme du premier mois d'exposition et d'après plusieurs indicateurs, dont le site Internet ouvert par « Le Parisien », le projet des Ateliers Jean Nouvel est celui qui suscite le plus d'intérêt. C'est le plus ambitieux et le plus abouti : « Une étude de haute définition », selon l'architecte.

Jean Nouvel : haute définition

Elle s'appuie sur une déclinaison de jardins étagés du sol aux toitures pour envelopper les volumes bâtis d'un large habit vert. De loin la plus construite, avec 62.000 m2, la proposition ressuscite l'esprit des Halles par le caractère prégnant de ses ouvrages, dont une halle monumentale, appelée « carreau », élevée à l'aplomb de l'actuel Forum sous un dais tendu en miroir.


Deux lignes de bâtiments recadrent le jardin à l'alignement des rues Berger et Rambuteau, focalisant la composition sur la Bourse du commerce, ancienne halle au blé investie en « salon-orangerie et confortable jardin d'hiver ».

Erigée à la pointe de Saint-Eustache, une tour-conservatoire s'impose comme « le diapason du site », édifice en bois ouvragé résonant avec l'église. Au total, 7 hectares de surface plantée sur trois niveaux règnent sur cette Babylone dont certains programmes semblent optionnels, donnés en gage pour aider au montage financier. Leur présence vient enclore l'esplanade centrale qui se prolonge sous l'immense carreau dont les proportions additionnent les 27 mètres d'élévation au niveau du plafond parisien et l'équivalent en excavation pour toucher le fond de la salle d'échange du RER.

Ce lieu largement ouvert sur la voie publique s'impose avec force sans manquer d'inquiéter. L'art de cette proposition est de développer une dimension onirique claire et lisible visant à servir de moteur au projet. Accordée aux référents parisiens dans son bâti et ses jardins, elle apporte cette plage de rêve matérialisée par une piscine en plein ciel sur le toit du carreau. « C'est l'extension du domaine des Halles », conclut Jean Nouvel.

Rem Koolhaas : colonisation

L'Office for Metropolitan Architecture (OMA) de Rem Koolhaas part du constat de deux mondes qui s'ignorent : « Les programmes cachés » du sous-sol et la ville en surface. Le pari est de les mettre en relation. L'architecte néerlandais fait table rase pour rétablir le sol urbain en continuité avec le quartier avec fluidité et perméabilité maximales sur les rues adjacentes
et la place des Innocents. A ce niveau de référence, véritable ligne de flottaison du projet, l'aménagement combine cratères et émergences ponctuelles. L'emprise circulaire de la Bourse du commerce inspire le dessin pour essaimer sur tout le terrain transformé en paysage lunaire, poinçonné de jardins et de trémies d'où fusent des pyramides élancées établies aux divers niveaux du sous-sol comme autant de pas de tir.


Winy Maas : vitrification

Libérant les énergies souterraines, ces « éléments phares et connecteurs » font vibrer le carreau comme un flipper. Leur registre architectural et constructif fait écho à Beaubourg jusque dans les hauteurs modulées de 25 à 37 mètres. L'ex-voie rapide souterraine recyclée en canyon irrigue le centre commercial. Au-delà de sa représentation ludique aux coloris acidulés, l'étude propose un mode opératoire dynamique reposant sur la répétition de géométries variables et la contamination progressive du carreau. « Le parc ne sera pas dominé par un seul grand projet mais colonisé par un ensemble de volumes divers et flexibles dans leur usage et leur programmation », dit Rem Koolhaas.

Autre équipe néerlandaise invitée sur les 36 candidatures recensées à l'origine, l'agence MVRDV, menée par Winy Maas, met carrément sous verre le complexe souterrain des Halles. De cette porte de Paris enfouie, elle fait « une grande fenêtre ouverte sur le monde », du portail au vitrail. « Multiple, multiculturel et multicolore », le projet se déploie en podium à 5
mètres au-dessus du sol urbain dans une alternance de jardins plantés et de vitrages horizontaux, générant une strate d'équipements comme « un puzzle infini où chaque élément trouve sa place ». D'une résolution schématique, la proposition frise l'utopie avec des piétons qui marchent au plafond et des arbres en conteneurs suspendus à la dalle de verre. Elle se raccroche à la réalité par une programmation déclinant les activités en vogue : rampe de skate-board, terrain de football, boulodrome, cinéma de plein air... Hormis l'intention de révéler l'existant sous la loupe, ce projet vitrifié revendique le vide en l'attente d'interventions monumentales. Sur cette scène urbaine qui s'illumine la nuit des profondeurs, l'animation tient « aux masses humaines en perpétuel mouvement ».

David Mangin : simplification

Loin du rêve, la proposition avancée par l'équipe Seura de David Mangin évite toute gesticulation architecturale pour renouer avec la tradition parisienne des esplanades et des jardins découpés d'une pièce dans le tissu urbain.

Un cours, large de 22 mètres, est tiré dans l'axe de la Bourse du commerce jusqu'au nouveau carreau, dressé au-dessus du pôle d'échange généreusement exhumé. Il articule deux jardins linéaires au traitement contrasté, prairie dégagée côté Saint-Eustache et mail planté sur la rue Berger. D'une emprise carrée de 145 mètres de côté, la nouvelle halle, qui occupe toute
l'extrémité du site, contre la rue Pierre-Lescot, concentre l'intégralité du programme bâti, limité à 16.000 m2 et 8.000 m2 de réhabilitation, assurément le moins-disant. Sa couverture plane compose à 9 mètres de haut un vaste damier ajouré de cuivre et de verre qui dispense la lumière aux commerces établis en dessous, ouverts en balcon sur l'accès aux lignes de transport.

Ce projet, qui a le mérite de la simplicité, a pour principale ambition la clarification des lieux. Unidirectionnelle et bien ordonnée, la composition fige le lieu dans une forme identifiable et sans surprise, quasi totalitaire. L'ordre s'empare des Halles sans retrouver la vivante prolifération des regrettés pavillons de Baltard. Projet de bon sens ou trop lénifiant embellissement ? Le réaménagement des Halles vérifiera-t-il le vieil adage « qui peut le plus peut le moins » ?

FLORENCE ACCORSI ET FRANÇOIS LAMARRE