Les Halles, quatre projets pour le ventre de Paris

 

Le réaménagement des Halles devra trouver un équilibre entre l’ambition architecturale, les besoins des commerçants et la qualité de vie des riverains « traumatisés » par les chantiers des années 1970

 

Paris a donc mal au ventre et son équipe municipale a préféré la chirurgie lourde à l’homéopathie. Le ventre de Paris, c’est bien sûr l’ancien surnom du quartier des Halles, hérité de la présence du plus grand marché de la capitale, depuis le XIIe siècle jusqu’en 1969, date de son déménagement à Rungis (Val-de-Marne). On se souvient du bouleversement causé par la destruction des pavillons Baltard et par le vertigineux « trou des Halles ». Après une dizaine d’années de péripéties architecturales et politiques, on ouvre la gare RER en 1977. Puis en 1979 le Forum des Halles, gigantesque centre commercial qui s’enfonce en trois niveaux.

Un quart de siècle plus tard, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, présente les quatre projets architecturaux en lice pour le réaménagement du quartier, le choix devant être fait en juin (1). Les travaux pourraient commencer dès 2005 et durer une dizaine d’années au bas mot. « On ne peut pas se contenter d’un rafistolage, explique Jean- Pierre Caffet, adjoint au maire de Paris et chargé de l’urbanisme et de l’architecture. Les halles des années 1970- 1980 souffrent de nombreux dysfonctionnement. Les jardins sont trop morcelés pour que les riverains puissent se les approprier, ces derniers sont en outre victimes de nombreuses nuisances… Et puis les structures ont très mal vieilli. »

À la société d’économie mixte (SEM) Paris centre qui gère les équipements publics du Forum et la voirie, Serge Federbusch, le directeur général, confirme ces détériorations : « Infiltrations d’eau et corrosion attaquent les pavillons qui bordent les rues. En outre, des problèmes d’étanchéité sous le jardin occasionnent des fuites dans les sous-sols. Si on voulait remettre les choses dans l’état initial, cela coûterait des dizaines de millions d’euros. Autant bien faire les choses. » La RATP elle aussi attend avec impatience ce réaménagement. « Il est essentiel d’améliorer le pôle d’échange qui se trouve au-dessous des Halles, indique Lorenzo Sancho de Coulhac, directeur de l’agence de développement de la RATP pour Paris. 800 000 personnes empruntent chaque jour ici cinq lignes de métro et trois lignes de RER. » La régie veut à la fois accroître la sécurité de ces espaces (évacuation, désenfumage), simplifier la circulation des usagers et améliorer le confort. Les commerçants du Forum voient aussi l’intérêt d’une revalorisation des lieux. « Aujourd’hui, il existe une mauvaise répartition des flux dans le centre, dit Marguerite des Cars, vice-présidente d’Espace Expansion, la société gérante de la Société civile du Forum des Halles qui possède un droit de bail à construction pour les commerces jusqu’en 2055. La grande majorité des visiteurs arrivent par la porte Lescaut, délaissant les autres accès. Il y a donc des secteurs et des étages du Forum déséquilibrés. D’autre part, nous pourrions être mieux intégrés au quartier. Aujourd’hui, seuls 4 % des magasins sont en surface. » Pourtant, le Forum qui accueille 41 millions de visiteurs par an est une réussite financière. Ses 180 commerçants réalisent près de 500 millions de chiffre d’affaires.

 

Chez les riverains, on craint une densification de constructions et une dérive vers le tout commercial.

 

L’enjeu est donc triple. La mairie doit veiller à la fonctionnalité des commerces et des équipements publics, à la qualité de vie pour les riverains et à l’ambition architecturale. « Les Halles de Paris sont connues dans le monde entier, rappelle Jean-Pierre Caffet. C’est une image forte de Paris. » Échaudés par les bouleversements des chantiers des années 1970, les riverains veillent, malgré la promesse de la mairie de réaliser le réaménagement par petites phases. Les associations se rencontrent, s’échangent les dernières informations, commentent les projets. Ainsi Jean-Jacques Gouret, président des Champeaux, association née en 1964 (portant le nom du lieu-dit lorsque les premières halles y furent établies) et qui reprend du poil de la bête. « Cela faisait vingt ans que je n’avais pas mis les pieds à la mairie. » Ou encore Gilles Pourbaix, vice-président d’Accomplir (2). Tous craignent une densification de constructions et une dérive vers le « tout commercial ».

Tous insistent aussi sur la nécessité de préserver la mixité sociale. C’est la grande préoccupation de Christophe Louis, responsable de l’antenne de l’association Aux captifs la libération, installée dans l’église Saint-Leu. « Nous faisons la journée et le soir des tournées de rue pour aller à la rencontre des marginaux. Il y en a quelque 250 dans le périmètre la journée et une centaine la nuit. Avec un phénomène nouveau : de plus en plus travaillent mais n’ont plus de logement. » Christophe Louis craint ce qu’il appelle une « aseptisation » des Halles. « Il ne faut pas oublier ces gens dans le projet. Leur reconstruction passe souvent par leur intégration locale. Les riverains nouent des relations, les reconnaissent. Ils existent, ne sont plus anonymes. » Aux Halles, l’architecture devra être aussi humaine.

 

MICHEL WAINTROP

(1) On peut les voir sur Internet (www.projetleshalles.com) ou à l’exposition de la Maison des associations du Forum des Halles jusqu’au 30 juin.

(2) www.accomplir.asso.fr

 

David Mangin

UN TOIT DE LUMIÈRE

Le Français David Mangin veut intégrer les Halles dans une continuité du centre parisien. Aussi a-t-il imaginé une vaste promenade centrale de 22 mètres de large qui s’inspire des Ramblas de Barcelone. Ce cours relierait la Bourse de commerce, transformée en lieu d’expositions de mode et de culture, au Forum des Halles, entouré d’un vaste jardin de quatre hectares. Au-dessus du Forum, le cours devient passage couvert par un toit carré de 145 mètres de côté et haut de neuf mètres, fait de cuivre et de verre. Ce toit filtre la lumière du jour et scintille la nuit. Dessous, le Forum devient un puits de lumière naturelle jusqu’au niveau moins 4.

 

Winy Maas

UN MONDE SOUS UN VITRAIL

Les vitraux de l’église Saint- Eustache surplomberaient un autre vitrail. Un immense, un colossal toit de verre proposé par le Néerlandais Winy Maas, un toit qui abriterait un forum se poursuivant jusqu’à la station de RER, avec de nombreuses passerelles suspendues. En bas, les promeneurs profiteraient de la lumière du jour. Inversement, en surface, le regard plongerait au cœur des profondeurs. Car ce toit serait aussi un plancher, éclairé la nuit par l’intérieur, qui porterait de nombreux jardins suspendus à quatre mètres au-dessus du sol.

 

Jean Nouvel

DES JARDINS ENTRE TERRE ET CIEL

L’architecte français de l’Institut du monde arabe multiplie les jardins, les installant pour partie à 27 mètres de hauteur. Un des aspects les plus spectaculaires de son projet est en effet de construire un Carreau des halles dont le toit jardin offrirait une vue panoramique sur la capitale, et proposerait une piscine en angle droit d’une centaine de mètres de longueur. Une passerelle avec des bouquinistes passerait au-dessus du boulevard de Sébastopol. Un immeuble à la façade en bois de 30 mètres de haut serait construit devant Saint-Eustache pour abriter le conservatoire de musique.

 

Rem Koolhaas

UN CHAMP DE TOTEMS COLORÉS

L’architecte néerlandais propose de mettre en relation le monde souterrain et la surface des Halles par une vingtaine de constructions pyramidales en verre coloré, d’une hauteur variant entre 25 et 37 mètres. Leur disposition permettrait de ne pas boucher les perspectives. Ces « flacons de parfums » illuminés la nuit prendraient appui à différentes profondeurs du Forum et permettraient d’accéder à différents espaces regroupant les activités de manière thématique. Chacune des tours permettrait tous les usages : jardins suspendus, commerces, lieux d’exposition…