Le Nouvel Observateur (23/12/04)

 

Bertrand Delanoë jardine les Halles


Le maire de Paris l’a joué soft : pas question d’ajouter un nouveau traumatisme au cœur trop sensible de la capitale. D’où son choix économe en faveur de David Mangin.
 

« Ambitieux et réaliste. » C’est par les mêmes termes que Bertrand Delanoë, le maire de Paris, et Léon Bressler, patron du Forum via sa filiale Unibail dont il est le PDG, définissent le projet de David Mangin retenu par la Commission d’appel d’offres (CAO) pour le réaménagement des Halles. Preuve que la Mairie et le principal trésorier payeur de l’opération s’entendent au moins sur les objectifs. Réaliste le projet de Mangin ? Sans doute. Ambitieux ? Cela dépend de la fonction que l’on prête à l’architecture dans la réinvention d’un lieu aussi chargé symboliquement et affectivement que le cœur de Paris. Car ce que beaucoup attendaient de Bertrand Delanoë pour sa première grande décision d’aménagement, c’est qu’il donne le « la » de sa partition pour la capitale, sa vision d’une « ville en mouvement ». En guise de « la », les Parisiens ont eu droit à un « do » mineur.
Confite dans la dévotion à son patrimoine architectural, Paris est, il est vrai, une ville qui n’ose plus depuis longtemps. Au sein de l’équipe municipale, certains Verts militent exclusivement pour les espaces verts, la défense du bâti et des matériaux nobles – de la pierre, pas du béton ! – mais passent complètement à côté des technologies modernes liées au développement durable. Et à l’invention de formes contemporaines adaptées à ces exigences. De ce point de vue, on attendait un signal fort. Ancré dans les formes et les matières du XXI e siècle. Que d’Halles !
Après des mois de consultations techniques et de crépages de chignon par tribunes de presse interposées, la CAO a accouché d’un toit. Ou plutôt d’un non-toit. Car si c’est bien le concept de David Mangin qui a été retenu, celui-ci pilotera mais ne construira rien. Ou si peu. Le Carreau, cette fameuse couverture plus ou moins translucide de 2 hectares (la surface de la place des Vosges) qui coiffera le Forum, est retoqué. « C’est la première fois qu’on désigne un architecte pour qu’il ne fasse pas son projet » , a beau jeu d’ironiser Jean-François Legaret, maire UMP du 1 er arrondissement. David Mangin, plus réputé pour ses qualités d’urbaniste et d’enseignant – sa dénonciation de la privatisation de l’espace public fait de lui un théoricien attentif de la ville – que pour ses constructions, n’y voit, lui, aucun inconvénient. Et entend bien négocier pied à pied un rôle des plus actifs.
A ceux qui lui reprochent un arbitrage timoré, le maire laisse entendre qu’il a tranché pour la douceur contre la mode qui brutalise les habitudes, pour la démocratie locale contre les bobos, ces intellos qu’il aurait tendance à trop choyer et qui se rangeaient unanimes derrière le projet de Rem Koolhaas. Emblématique de cette bataille rangée : la conférence donnée le 23 novembre par l’architecte hollandais dans un amphi bourré à craquer, où ses supporters en faisaient des tonnes dans la commisération à l’égard du projet Mangin.
La vérité, c’est que le maire avance en crabe dans un dossier où les études techniques et les coûts réels sont plus supposés que connus. De ce point de vue, Koolhaas comme Nouvel semblaient plus chers. Et tant pis si les solutions qu’ils apportaient sur la gestion des flux entre surface et sous-sol étaient plus novatrices. Tant pis aussi si la SEM Centre, qui a organisé la consultation et préconisé Koolhaas, est désavouée. Ce dernier s’est déjà consolé en emportant deux grands projets à Londres et à Rome.
Delanoë et ses équipes avaient prévenu : aucune des maquettes présentées ne seraient réalisées telles quelles. Et là, il a tenu parole. Le projet Mangin ne verra pas le jour à l’identique. Sa maquette n’indique qu’un plan masse et des options : un grand jardin de plain-pied mais qui sera repensé par un architecte paysagiste avec l’appui d’artistes, de designers et de metteurs en lumière, et un toit couvrant le Forum, qui fera l’objet d’un grand concours international d’architecture. Quelle forme, quelle hauteur et quelle dimension aura-t-il ? Mystère. Il n’existe aujourd’hui aucun ouvrage au monde d’une telle surface, à part des aérogares ou des hypermarchés. On sait seulement que le maire le souhaite « léger, harmonieux, lumineux » . Sûr que le contraire serait embêtant.
La procédure a cependant un avantage immense : décaler la désignation d’un grand architecte international après le 6 juillet 2005, jour de l’annonce de la ville lauréate pour les jeux Olympiques de 2012. Si Paris l’emporte, le maire aura les coudées franches pour imposer un choix peut-être plus audacieux que les pistes indiquées aujourd’hui. Si ce n’était pas le cas, il se verrait dans l’obligation – faute de moyens – de remballer nombre de ses projets de développement pour la capitale. Une hypothèse qui ne serait pas de bon augure pour les Halles.

Gérard Muteau

 

Bertrand Delanoë : « Le cœur de Paris dans le corps de la ville »

         Les quatre projets sur le réaménagement des Halles ont fait rêver les Parisiens. Mais votre choix du projet Mangin en a déçu plus d’un. N’est-il pas un peu trop sage pour quelqu’un qui affirme vouloir mettre Paris dans son siècle ?
– Je conteste votre interprétation. Je n’ai pas choisi une maquette, j’ai choisi la vie et l’ambition, en tenant compte du fruit de la vaste consultation lancée sur le sujet. David Mangin a vraiment le meilleur parti pris d’aménagement urbain. Il remet le cœur de Paris dans le corps de la ville. Il harmonise les fonctions de ce lieu. Il dégage de l’espace. Et cela, c’est bien un choix urbain résolument moderne. A travers cette décision, nous avons pris le parti d’une vraie harmonie urbaine, dans ce quartier traumatisé par les échecs du passé.
– Le coût des différents projets et l’hostilité d’Unibail à la proposition de Rem Koolhaas ont-ils pesé sur vos choix ?
– La question du coût m’importe évidemment, mais elle n’a pas été décisive dans ce choix. D’ailleurs, si j’avais adhéré pleinement au projet de Rem Koolhaas, je n’aurais pas hésité à plaider sa cause auprès de la RATP et d’Unibail. Mais je me suis interrogé sur la viabilité de ses « émergences ». C’est un joli concept mais qu’en sera-t-il dans vingt-cinq ans, peut-il résister au temps ?
– Au final, qu’allez-vous retenir du projet de David Mangin ?
– David Mangin sera le coordonnateur de cet aménagement urbain qui repose sur le rétablissement des perspectives et la conception d’un jardin au sol d’un seul tenant. Pour sa réalisation, des paysagistes, scénographes, artistes et concepteurs lumière seront consultés. Quant au Carreau, il donnera lieu à un concours international. Car nous voulons une œuvre d’art architecturale du XXI e siècle. Rien n’est figé. Ni la surface, ni la forme. A ce stade, nos exigences sont celles d’une vraie création dans un espace libéré, avec de la légèreté, de l’élégance et de la transparence.

 

Propos recueillis par Gérard Muteau