Le Canard Enchaîné (18/08/04)

 

Delanoë menacé par un nouveau trou des Halles
Un projet flou, des bétonneurs en embuscade, un budget inconnu...

L’Hôtel de Ville ne sait plus trop comment se sortir du guêpier.
Le maire de Paris a réussi l’exploit de réveiller un monstre assoupi depuis près de vingt ans. La polémique sur l’aménagement du quartier des Halles vieux serpent de mer de la chronique parisienne vient de refaire surface avec son cortège de controverses interminable et de factures astronomiques pour d’éventuels travaux cyclopéens.
Aujourd’hui la «bête s’étend sur pas moins de 218 000 m2 de planchers (voiries souterraines et parkings compris).
Elle a été dotées d’une gare RER qui accueille quelque 300 millions de passagers par an et d’un jardin de 4,3 hectares. Enfin, son centre commercial détient un record de France, avec 500 millions d’euros de chiffre d’affaire.
En 2001, la question des Halles ne figurait pas dans le programme du candidat Delanoë. Mais «Bébert roi du monde», comme l’ont surnommé naguère ses collaborateurs, n’a pas résisté longtemps à la tentation de s’attaquer à ce lieu hautement symbolique de l’urbanisme chiraquien. Et pourquoi, s’en priver, puisque le élus UMP de Paris conviennent eux-mêmes que le site doit être remis en chantier? Mais, cette fois, même les delanoïstes les plus convaincus reconnaissent que le maire a accumulé les maladresses.
 
Béton extensible

La rénovation des Halles devrait représenter l’une des plus importantes opérations urbanistiques de la capitale. Pourtant, au lieu de définir d’abord un programme, puis de désigner un architecte pour le mettre en musique, la Mairie a mis la charrue avant les boeufs.
Delanoë a opté pour une procédure rarissime (le «marché de définition»), qui consiste à dire aux professionnels : nous ne savons pas encore ce que nous voulons faire, débrouillez-vous ! Et sans même donner d’indications sur le nombre de mètres carrés à bâtir ! Seul impératif : que l’avancement du chantier rende le projet «irréversible» avant les municipales de 2007.
Enfin la Ville a renoncé à conduire directement les opérations et a confié le bébé à la SEM-Centre, une société d’économie mixte contrôlée par la Mairie et présidée par le socialiste Alain le Garrec.
Première déconvenue ; seules 32 équipes d’architectes ont répondu à l’appel d’offres lancé au printemps 2003. Et, plutôt humiliant pour Delanoë, certaines grandes signatures mondiales comme Norman Forster et Franck Gehry n’ont même pas relevé le défi.
A l’automne 2003, après un premier tri approuvé à l’unanimité par la commission d’appel d’offres (où siège l’opposition), quatre équipes sont restées en lice : les hollandais Winy Maas et Rem Koolhas, les français David Mangin et Jean Nouvel. Exposées aux Halles, les maquettes des lauréats ne permettent guère d’y voir clair. Ainsi Nouvel, qui propose carrément de bétonner 65 000 m2 supplémentaires, a noyé son projet dans une lumière verte donnant l’illusion d’un immense espace boisé.
Un peu plus loin, des photomontages offrent une image champêtre de l’église Saint Eustache perdue dans une vaste prairie où s’attardent quelques promeneurs. Magie de la perspective...
De son côté Rem Koolhas propose d’édifier une série de petites tours colorées émergent de la surface du Forum. Mais les couleurs utilisées sur la maquette sont, paraît-il, purement indicatives et l’aspect réel des constructions pourrait être fort différent.
Certains élus de la majorité et des collaborateurs de Delanoê tiennent les patrons de la SEM-centre pour responsables d’une partie des erreurs commises par la Mairie. L’une accuse : «Cette société d’économie mixte aurait dû mieux encadrer les architectes : l’esprit de la consultation, ce n’était ni la débauche de mètres carrés de Nouvel, ni les tours de Rem Koolhas.» Mais Alain le Garrec a beau jeu de souligner que les services municipaux «n’ont jamais été mis devant le fait accompli et ont approuvé sans réserve toutes les phases de la consultation». Et il ne se trouve personne pour le contredire.
Le choix final revient à la commission d’appel d’offres, dont le maire ne fait pas partie. Mais, il ne s’en cache pas, Delanoë a bien l’intention de lui souffler la décision à prendre. De toute façon, le projet sélectionné ne devrait pas avoir grand chose de commun avec les maquettes exposées aujourd’hui : la Ville a en effet demandé aux quatre architectes de retravailler largement leurs propositions et d’y aller mollo, cette fois, sur le béton.
 
Crédits en panne

Un autre écueil attend la Mairie. Si ahurissant que cela paraisse, les problèmes financiers du réaménagement des Halles «n’ont pas encore été vraiment posés», comme le reconnaît l’un des experts du dossier. Pourtant, le coût des projets varie, selon les spécialistes, entre 200 millions et 600 millions d’euros. Un chiffre à comparer au milliard d’euros que consacre chaque année la Ville à son budget d’investissement.
Arc-bouté sur la promesse de son patron de ne pas augmenter les impôts, l’adjoint aux Finances, Christian Sautter, a déjà annoncé qu’il ne lâcherait pas 1 euro. Reste la solution de vendre le plus possible de mètres carrés aux promoteurs (donc de bétonner à tout va) pour payer la facture, comme le propose Jean Nouvel.
Mais les proches de Delanoë ne cachent pas qu’un tel choix serait politiquement suicidaire.
Du coup, «Bébert roi du monde» paraît décidé à prendre son temps. Le maire a commencé par retarder de plusieurs mois la décision de la commission d’appel d’offres. Et il semble acquis que le chantier ne démarrera –au mieux- qu’au lendemain des municipales de 2007.
Il sera temps alors de choisir entre le rab de béton ou le rab d’impôts...

Hervé Liffran